Une question d’ordre

Le matin, je commence par une balade dans mon monde intérieur, et ce n’est qu’après que je me tourne vers le monde extérieur, que je sors faire un tour au jardin, pour voir si les deux sont organisés de la même façon. Je reviens ensuite à mon monde intérieur que je modifie si nécessaire pour que les deux correspondent le mieux possible.

Je fais toujours les choses dans cet ordre. Du moins, j’essaye. Je suis pour l’ordre. C’est une découverte pour moi. Jamais je n’aurais pensé dire ça un jour. Je déteste l’ordre, la hiérarchie. Je suis anarchiste, bordel !

Voilà donc ce que je veux dire par là. Le monde extérieur est ma référence. Ce n’est pas à lui de s’adapter à mon monde intérieur, mais à moi d’adapter mon monde intérieur au monde extérieur. C’est le bon sens, personne ne peut me dire le contraire.

La question de l’ordre est à présent réglée pour moi. Je ne respecte que celui-là.

Neurones miroirs et propriété

Pour qu’une universitaire prenne le risque d’être exclue de la communauté à laquelle elle appartient en parlant d’anarchie, c’est qu’elle n’a pas d’autre choix, qu’elle a exploré toutes les autres voies, mais qu’il ne lui reste que celle là pour que le système qu’elle étudie fonctionne. Ce n’est pas par goût qu’elle se retrouve sur ce terrain, mais parce que la raison l’y a conduite.

Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, chacun a les siens. Par contre, la raison est universelle, n’importe qui arrive aux mêmes conclusions lorsqu’il est confronté au même problème s’il l’utilise, c’est le principe de la science qui dit qu’une expérience aboutit partout au même résultat si elle se déroule dans les mêmes conditions.

Et nous voilà directement au cœur de celui auquel cette femme s’est retrouvée confrontée. On est propriétaire de ses goûts, mais la raison est une propriété commune. Et notre cerveau arrive très bien à fonctionner malgré tout, alors qu’il rencontre tout le temps ce problème. Il sait faire tout seul la différence entre ce qui relève d’un domaine et de l’autre.

Je n’ai donc aucune raison de m’inquiéter, c’est un truc qu’il sait faire. Il ne devrait avoir aucune difficulté à l’appliquer à la propriété. Il suffit de l’y autoriser, de lui faire confiance.

Tous les humains sont dotés du même cerveau, et c’est ce qui pose la limite théorique de la propriété en commun. On a du mal à la concevoir à grande échelle parce qu’elle implique que les gens se connaissent pour qu’elle soit respectée. Il faut établir un lien spécial qu’il n’est pas possible de nouer à distance car il passe par les neurones miroirs.

Leur fonction est de synchroniser les cerveaux, de faire ressentir à l’un ce que ressent l’autre comme si les deux cerveaux ne faisaient plus qu’un. Synchronisation signifie être dans le même temps, au présent. Elle ne peut s’opérer qu’en présence de l’autre, elle devient impossible au moindre décalage. C’est comme pour la musique, il faut être dans le même temps pour que ça ressemble à quelque chose.

Il faut que le haut et le bas de la pyramide soient en présence physique pour que la synchronisation puisse avoir lieu. À l’échelle d’un village on ne peut pas faire autrement que de rencontrer tout le monde, ça passe encore à celle d’une ville de quelques centaines de milliers d’habitants, mais au-delà, la rencontre devient trop improbable pour qu’on puisse utiliser cette fonction extraordinaire de notre cerveau.

Mais les villes et les pays ont tout l’air d’être dotés de la même. Par exemple les alsaciens se retrouvent dans les bretons. Encore plus étrange, les birmans dans les argentins comme je l’ai appris lors de la coupe du monde de foot. Un alsacien qui rencontre un breton fera tout pour que ses neurones miroirs s’activent et qu’ils se synchronisent. Par contre un birman fera de même avec un argentin, mais il s’en empêchera s’il s’agit d’un anglais.

Si les birmans sont aussi fans des argentins, ce n’est que parce qu’ils ont battu les anglais au foot avec Maradona, qu’ils ont le même ennemi en commun. On décide donc d’activer ses neurones miroirs ou non, on peut y mettre plus ou moins de bonne volonté. Pour que la propriété en commun puisse se concevoir à grande échelle, c’est ce qu’il faut. De la bonne volonté. Celle de se servir de ses neurones miroirs et de leurs propriétés.

Tout sauf l’anarchie

Je ne pensais pas entendre un jour une universitaire parler de l’anarchie comme solution. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé dans le documentaire sur la propriété qu’a diffusé Arte. La dame était très mal à l’aise avec ce mot, mais elle n’en a pas trouvé d’autre pour décrire comment une société basée sur la propriété en commun pourrait s’organiser.

Elle a peur de ce mot parce qu’il risque de provoquer son exclusion de la communauté à laquelle elle appartient, de la faire passer de l’autre côté comme j’ai dit hier. Ce n’est que contrainte et forcée qu’elle s’est retrouvée sur ce territoire inconnu, celui que j’explore pour ma part depuis que Renaud me l’a fait découvrir quand j’avais 5 ou 6 ans.

L’anarchie n’est pas un tabou pour moi contrairement à elle. C’est un environnement que je connais, je ne fais rien d’autre que parler de son fonctionnement tous les matins, quand le cerveau est dans sa période anarchiste qu’il n’est pas encore tout à fait sorti de l’espace du rêve. L’anarchie, c’est là que ça se passe, dans l’espace mathématique du rêve.

Ce n’est pas n’importe quoi, il y a des règles. Différentes de celles dont le cerveau se sert lorsque nous sommes éveillés, que notre conscience est activée, mais il y en a. La peur vient de là. C’est un territoire inconnu pour la conscience. Elle n’y a pas accès puisqu’il n’apparaît que lorsque elle est éteinte, mais elle se rend compte qu’il existe lorsqu’on s’éveille.

Et ça la fait flipper de savoir qu’elle cohabite avec ce monde qui lui est presque totalement inconnu, dont les règles lui sont parfaitement incompréhensibles. C’est donc le dernier endroit où elle veut aller. La conscience ira partout ailleurs avant de se résoudre à entrer sur ce territoire dont elle ignore tout.

Voilà a peu près où nous en sommes puisque même d’honorables universitaires en viennent à parler d’anarchie à la télé. Nous avons fait le tour de tous les endroits où la conscience pouvait se réfugier, il ne lui reste plus que l’espace du rêve où aller.

Cet espace, c’est l’Amérique. L’endroit du cerveau où des millions de gens vont bientôt se retrouver, où tout le monde voudra aller. Viendez, j’y suis déjà, je vous y accueillerais avec autant de joie que cette femme qui n’a pas eu d’autre choix que de s’y aventurer.

Le sens de la politique

Après l’âme et la foi, un autre sujet qui fâche, la politique. C’est ce qui m’est venu ensuite sans que je ne comprenne pourquoi, comme toujours.Mais en y réfléchissant, la politique, ce n’est rien d’autre que l’application du système qui émerge une fois qu’on a établi ces deux principes.

La notion d’âme permet de rediriger les informations qui concernent l’objet auquel on l’attribue vers la partie de notre cerveau en charge de notre corps à laquelle notre conscience n’a pas accès, le cervelet, au lieu de les traiter par celle dans laquelle notre conscience est confinée que nous identifions à notre tête comme si c’était notre cerveau tout entier. Et la foi, c’est le programme de la tête, un principe physique de base en ce qui me concerne, les systèmes tendent vers le niveau d’énergie le plus bas.

Quand on applique, on obtient la politique. Dans le cervelet, la partie du cerveau qui fait des millions de choses en même temps pour faire fonctionner notre corps, c’est le bordel, le désordre, l’anarchie.

La raison est simple, pour faire toutes ces choses en même temps, l’espace mathématique du cervelet est différent de celui où se trouve notre conscience qui ne peut en faire qu’une à la fois, les notions de temps et d’espace n’en font pas partie, ces informations sont absentes dans cette partie là du cerveau. Ça n’a pas de sens, de direction. Il n’y a pas d’ordre possible dans le cervelet.

Pour la tête, c’est n’importe quoi, ça ne peut donner aucun résultat. Parce que les notions de temps et d’espace sont indispensables à son fonctionnement. Quand on interroge notre cervelet, qu’on lui laisse faire les calculs, on obtient qu’un résultat. Mais on n’a aucune idée de comment y parvenir. On ne sait pas par quoi commencer, ni aucune idée des étapes à franchir pour y arriver, on n’a que le résultat final.

La politique, c’est comment on l’obtient. Par où on commence, dans quelle direction on va. Toujours vers le niveau d’énergie le plus bas, vers l’état stable. Je suis convaincu que la politique doit aller dans ce sens là.

L’anarchie est dans nos gènes

Avec le séquençage du génome humain, la génétique nous a ouvert de nouvelles perspectives en matière d’organisation. Et comme souvent en science, nous les avons découvertes à cause d’un résultat inattendu.

La complexité du corps humain et la longueur de la molécule d’ADN nous laissait penser que de très nombreux gènes étaient impliqués dans sa construction et son fonctionnement. Nous concevions alors le programme génétique comme un programme informatique où la réponse à tous les cas de figure possibles doivent être prévus à l’avance. Des centaines de milliers, des millions de gènes actifs auraient été nécessaires à un tel fonctionnement.

Mais le résultat a été surprenant. Seuls 30 000 gènes servent réellement. Un chiffre ridiculement bas qui démontre que nous n’avions rien compris à la programmation biologique. Elle ne tient pas sa puissance d’adaptation du nombre d’informations que sa longueur laissait supposer, mais de son expression. C’est à dire que nous avons découvert qu’un gène ne sert pas à remplir une fonction unique, mais plusieurs qui varient à la fois en fonction du stade de développement de l’organisme, mais aussi de la pression exercée par l’environnement.

Nous pensions qu’il suffirait de lire la mémoire du vivant stockée dans l’ADN pour comprendre son fonctionnement et nous nous sommes aperçu que le grand livre de la vie n’avait la plupart du temps aucun sens, que seul quelques passages forment des mots. Le reste est une longue suite de lettres aléatoires qui ne veulent rien dire, mais qui doivent quand même servir à quelque chose même si on ne sait pas encore à quoi.

Le support de l’information génétique est beaucoup plus désordonné qu’on ne le pensait, l’ordre qu’on attendait n’est que local. C’est à la fois décourageant parce qu’au lieu d’éclaircir le mystère du fonctionnement du vivant comme on l’espérait, ça l’épaissit, mais c’est aussi très stimulant, comme on apprend que l’extraordinaire capacité d’adaptation au réel, à lutter contre l’entropie qui voudrait que le système aille vers toujours plus de désordre, n’a besoin que de quelques lois fondamentales pour fonctionner au poil.

Pour cela, il doit être modelé par autre chose, utiliser un niveau d’information sous-jacent qui pourrait bien être directement relié au comportement de la matière inerte. C’est ce que j’ai appelé le vent de la réalité. Dans le cas de l’ADN, un gène codant serait une dune sculptée par le vent du désert, une vague sur l’océan, séparée des autres par une étendue presque plane de junk DNA, d’ADN non codant qui pourrait bien être la clef du mystère.

Des scientifiques qui s’emmerdaient ont un jour fait une expérience intéressante. Ils ont mis une goutte d’eau sur une membrane de haut parleur pour la faire vibrer avec des sons et la filmer avec une caméra à grande vitesse. Ils ont obtenu des images troublantes. Beaucoup d’entre elles font irrésistiblement penser aux formes familières que prennent les organismes vivants alors que ce n’est que de l’eau et rien d’autre que de l’eau sculptée par des ondes acoustiques tout ce qu’il y a de plus inertes.

Dès lors, le programme sous-jacent dont je parle pourrait bien être celui-là, la réaction de la matière à la vibration du vent de la réalité, ici, le son. L’ADN non codant pourrait peut être bien servir à reproduire ces vibrations qui en se propageant viennent interagir au niveau des gènes codants, des gouttes d’eau, modulant leur expression, la forme de la goutte, en fonction des interférences.

La forme de la protéine produite dépendrait alors directement de la forme de l’onde qui l’articulerait différemment en fonction des circonstances vibratoires. La forme tri-dimensionnelle de l’ADN au moment de la lecture serait tout simplement différentes en fonction de la propagation de la vibration du réel tout au long de la molécule. Cela expliquerait assez simplement comment un gène pourrait comme cela remplir plusieurs fonctions, prendre plusieurs formes selon les circonstances.

Si on applique maintenant ce principe aux lois qui régissent la société, on s’aperçoit qu’elles pourraient être beaucoup plus simples elles aussi si on s’inspirait de ce fabuleux mécanisme. Il suffirait qu’elle fasse vibrer les individus de manière à ce que la forme de société désirée émerge de leurs interactions imprévisibles au lieu de vouloir les faire interagir suivant des règles strictes.

Absence de règles strictes et prépondérance de l’individu, du junk citizen, du citoyen non codant, sont les règles de base de l’anarchie. Contrairement à ce qu’on pense, c’est elle qui pourrait bien être le meilleur moyen de faire régner l’ordre et de le perpétuer. Mais pour cela, elle doit être étudiée, devenir une science, et donc pouvoir être expérimentée. Un généreux mécène pour me financer ?

L’anarchie est une vraie science politique

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir l’auto-construction sociale dont je parle est un concept anarchiste. Aucun problème pour moi, je le revendique. L’anarchie, ce n’est pas l’absence d’ordre, mais c’est dire qu’il ne peut pas être absolu en matière sociale, que la loi doit être assez solide pour pouvoir s’adapter aux circonstances.

L’auto-construction dont je parle s’inspire des travaux de Jean-Marie Lehn en chimie. La chimie est une science, une science très fiable, mais à notre époque, le mot science, n’est plus pluriel, il est devenu LA science, qui est invoquée comme un Dieu tout puissant. Personnellement, quand j’entends LA science, en majuscule, celle qui donne le la, ce ne peut être que la science physique. La seule vraie science, la seule qui ne soit pas statistique.

La physique est une science qui dit pourquoi ça se passe comme ça. Dans telles conditions, tel objet se comportera comme ça et pas autrement. Elle prédit le comportement de cet objet à coup sûr. Telles conditions, tel résultat en raison des propriétés de l’objet qui font qu’il ne peut pas faire autrement à cause des lois de la physique.

En chimie, c’est différent. Elle dit qu’en mélangeant telle et telle substance dans telles conditions, j’obtiendrai tel résultat. Mais elle ne dit pas pourquoi, le pourquoi relève de la physique, elle se contente de constater. La physique voudrait que telle atome mis en présence de tel autre dans les bonnes conditions devrait réagir avec l’autre. A coup sûr, la physique dit qu’ils n’ont pas le choix. Mais en chimie, le plus souvent seule une partie des réactifs produit le résultat attendu, une autre reste intacte ou peut produire autre chose.

Mais la chimie reste pourtant une science fiable. Elle s’appuie sur une autre branche des mathématiques, les probabilités, qui donnent de remarquables résultats à condition de s’appliquer à de grands nombres. En chimie les nombres sont grands, très grands, des centaines de milliards de milliards d’objets pour l’unité de base, 6,0221409 fois 10 puissance 23, le nombre d’avogadro.

Du coup, elle n’a pas besoin de dire que telle molécule fera ceci ou cela quand elle rencontre telle autre, mais que quand on met on met en présence un grand nombre des deux, il en ressort toujours une troisième dans les mêmes quantités. Des quantités que la physique est incapable de prédire. Elle dit pourquoi les molécules réagissent, mais ni la physique, ni la chimie ne disent pourquoi elles ne réagissent pas toutes. On ne peut pas dire a priori que cette molécule réagira, tandis que cette autre, non.

La chimie, c’est de la physique appliquée aux conditions réelles. L’ordre absolu de LA science, la physique, ne s’applique que dans des conditions idéales. Toutes les autres, même la chimie qui est très très fiable sont statistiques, probabilistes. Elles font abstraction des circonstances dans lesquelles la réaction a lieu, elle se contente de dire que quand on met des molécules différentes en présence l’une de l’autre en très grand nombre, les circonstances seront réunies quelque part dans le mélange pour qu’il y ait réaction. Avec une remarquable constance.

Mais voilà, si pour une molécule inerte cela n’a aucune importance de savoir si celle-ci réagira et celle-là ne réagira pas, il n’en est plus vraiment de même lorsqu’il s’agit d’humains. Leur sort individuel ne peut nous être indifférent, la loi doit pouvoir s’appliquer à tout le monde, à chacun, partout, tout le temps. Elle ne peut donc pas relever de l’idéal rigide de la physique, de l’autorité pour se faire respecter, mais pas non plus de la chimie statistique qui n’accorde aucune importance à l’individu noyé dans la masse.

Mon idée de l’anarchie consiste à s’attacher à comprendre comment les lois de la physique s’articulent avec celles de la chimie. Disons que la rigidité des lois de la physique sont à l’état solide, tandis que celle de la chimie sont à l’état gazeux. L’auto-construction, l’anarchie, serait alors un état intermédiaire entre les deux, l’état liquide, qui est un peu des deux.

Réfléchir à la manière dont les lois s’appliquent pour obtenir le résultat escompté, plutôt que de vouloir faire appliquer les lois autoritairement pour produire ce résultat. C’est à dire se contenter du résultat partiel de la réaction chimique, au lieu de s’acharner à vouloir que toutes les molécules réagissent de la même façon comme le voudraient les lois de la physique.

Dès lors, il ne s’agirait plus d’imposer un ordre général, mais de permettre à l’ordre désiré d’émerger de manière locale, sans savoir exactement où et comment, tout en étant sûr qu’il émergera quelque part en quantités maîtrisées.

Pour moi, l’anarchie, c’est ça. L’ordre local, le chef temporaire, les conditions nécessaires à l’auto-construction sociale. Et le vent de la réalité qui souffle dans ce sens montrera que c’est une évidence, l’anarchie, c’est une science.

Pour une autoconstruction sociale

Grâce à Jean-Marie Lehn, immense scientifique français dont les travaux mériteraient beaucoup plus d’être portés à la connaissance du grand public, et de toute urgence, j’ai découvert un domaine passionnant, celui de l’autoconstruction.

Le principe en est aussi simple que révolutionnaire. Avec Léonard de Vinci, nous avons pris l’habitude de penser qu’il est nécessaire d’établir des plans très détaillés pour construire une machine. Nous devons toute notre technologie à ses dessins qui s’attachent à décrire le fonctionnement mécanique du monde.

Mais avec la complexité croissante des machines, un avion, par exemple, le nombre de pièces devient tellement énorme qu’il devient impossible de comprendre toutes les étapes depuis la matière première jusqu’à l’objet capable d’évoluer dans le ciel. Einstein disait que seul le cerveau peut contenir tout l’univers, c’est vrai, mais il ne peut pas contenir un A380 ou un F-18. Les règles qui régissent l’univers sont peu nombreuses, elles proposent un plan simple, concentré en E=mc2. Pour faire un avion tout seul, un cerveau devrait accueillir toutes les connaissances techniques de l’humanité.

Donc, Monsieur Lehn, chimiste de son état, et d’autres encore se sont dit, dans mon domaine, nous étudions des atomes qui forment des molécules tous seuls et nous cherchons à comprendre ce que nous pourrions en faire en apprenant les règles d’assemblage de ces molécules en fonction des atomes qui la composent. Ce qui peut aussi se dire, c’est l’atome qui décide, il ne se lie pas avec n’importe qui, mais quand il le fait, il y est obligé par les règles de la chimie. This is revolutionary.

Le principe de l’autoconstruction, c’est ça. Un atome quand il se lie, il est obligé de le faire. Il n’est pas libre de refuser, il doit suivre les règles de la chimie. Il ne peut pas faire autrement. C’est vrai pour un atome, mais aussi pour une molécule complexe qui de lie avec une autre molécule complexe, grâce à d’autres mécanismes qui ont émergé de l’assemblage des molécules. Mécanismes d’ailleurs inconcevables a priori à partir de l’étude d’un atome isolé, je pense en particulier ici au magnétisme.

En chimie, l’avion, l’assemblage moléculaire le plus complexe, c’est l’être vivant qui se construit à partir d’une molécule d’ADN. Quelques chromosomes, de bonnes conditions et la chimie produit de la vie, un brin d’herbe ou Léonard de Vinci, c’est selon la composition. Et elle varie étonnamment peu entre Léonard et le brin d’herbe quand on y réfléchit.

Quand en plus on ajoute que pour faire un humain, il suffit de 30 000 gènes actifs environ, alors à ce qu’on s’attendait à ce qu’il en faille des millions, on peut dire que le vivant se construit grâce à un plan beaucoup mois compliqué qu’on ne le croyait.

L’idée de génie est là, ce ne sont pas tant les possibilités techniques extraordinaires en matière de construction de nanomachines qui ouvrent de nouvelles perspectives que la simplification salutaire du plan minutieusement détaillé à la Léonard de Vinci qu’elle suppose. Quand on pense autoconstruction, on se contente d’élaborer des pièces qui vont s’assembler toutes seules sans qu’on ait besoin de leur dire ou de se demander comment. On fabrique les pièces dans les règles et on regarde ce qui en émerge.

Aux crétins qui pourraient me dire que c’est dangereux, que je joue à l’apprenti sorcier et autres débilités du genre, je leur répondrai simplement que la vie est dangereuse et qu’elle n’a jamais procédé autrement qu’à l’aveuglette pour pouvoir s’adapter aux changements de conditions, et que c’est vrai qu’il lui arrive de se tromper puisqu’elle produit même des abrutis comme toi qui selon toutes les règles de l’intelligence ne devraient même pas exister.

Le principe de précaution, ce n’est pas d’empêcher toute recherche, c’est de la faire dans un milieu contrôlé, pas en milieu ouvert, comme vacciner une population toute entière avec une technologie nouvelle dont nous ne savons pas grand chose. 30 000 gènes à peine, je vous le rappelle, nous ne savons absolument pas ce qui pourrait émerger de l’introduction d’un élément perturbateur dans la réalisation d’un plan dont nous ignorons le fonctionnement de B à Z.

Coup de gueule, c’est fait. Perspective maintenant. Les atomes s’assemblent tous seuls pour finir par donner des êtres humains. Les humains s’assemblent tous seuls pour donner une société, voilà une discipline nouvelle à étudier. Elle porte déjà un nom, elle s’appelle anarchie !