Décomposer la lumière blanche

Les diamants et les bulles de savon ont tous les deux la même propriété. Ils révèlent les couleurs de l’arc-en-ciel quand la lumière blanche les traverse. Mais à part ça, ce sont deux objets qui n’ont rien en commun. Tout les oppose au contraire.

La solidité des diamants en ont fait un symbole d’éternité, tandis que les bulles de savon sont celui de l’éphémère. Mais les deux nous fascinent tout autant parce qu’ils ont tous les deux la même propriété de décomposer la lumière blanche.

Et si c’était la même chose pour la vie ? Et si la vie était la forme bulle de savon d’un objet qui a les mêmes propriétés qu’un autre, mais sous forme de diamant ? La vie permettrait simplement d’acquérir quelques instants les mêmes propriétés que celles d’un autre objet chez qui elles sont permanentes.

Les propriétés de la matière vivante que la matière inerte n’a pas pourraient venir de là. La matière vivante ne serait rien d’autre qu’une bulle de savon qui reproduit par hasard les propriétés d’un diamant.

Je n’en vois pas d’autre que celles des atomes dont la longévité confine à l’éternité. La matière vivante pourrait acquérir, réfléchir quelques instants les propriétés déconcertantes des atomes chez qui elles sont permanentes. Le sens de l’évolution du vivant irait tout bêtement dans celui d’une séparation de plus en plus précise des couleurs, soit des propriétés de l’atome.

Trouver de l’écho

L’intelligence est une faculté naturelle du cerveau humain, comme l’écho est une propriété naturelle des cavernes. Il y en a plus ou moins, ça dépend de la caverne, de la personne. L’écho est associé à un lieu, comme l’intelligence à un individu.

Mais avec leurs théâtres qui reproduisent artificiellement l’acoustique des grottes, les grecs de l’antiquité ont réussi à dissocier la propriété du lieu. Ils pouvaient obtenir de l’écho n’importe où, il leur suffisait de construire un théâtre.

Et si on peut dissocier la propriété du lieu, on doit également pouvoir séparer l’intelligence de l’individu. Un cerveau ne fait rien d’autre avec l’information que ce qu’une grotte fait avec le son. Il les fait revenir en écho au lieu qu’elles ne se dispersent dans la nature.

J’espère que ces informations en trouveront dans le vôtre.

Les frontières de la propriété

Si l’interdiction d’imiter que nous avons introduit dans le droit pour protéger celui de propriété empêche le bon fonctionnement du mécanisme d’apprentissage dans lequel l’imitation est indispensable, il faut alors redéfinir la notion de propriété pour lui permettre de redémarrer. C’est logique.

Mais je n’ai aucune idée de ce que ça pourrait donner concrètement. Je me suis donc demandé comment moi je réagis quand on m’imite, quand on porte atteinte à mon droit à la propriété. Je ne possède pas grand chose à part mes idées. Mais je ne les partage pas avec tout le monde. Il y a certaines personnes à qui je refuse de parler, que je ne veux pas fréquenter.

Ce sont celles à qui j’ai donné une idée, qui ont oublié que c’est moi qui la leur ait donné, qui se la sont appropriée, et qui s’en servent pour affirmer leur supériorité sur moi, qui l’utilisent comme un instrument de pouvoir. Ils déclenchent mon instinct de propriété. Ils me donnent envie de revendiquer mon droit, de leur rappeler que cette idée n’est pas la leur mais que j’en suis propriétaire.

Ce n’est donc pas tant l’imitation à proprement parler qui me dérange, mais son utilisation. J’entre en guerre quand mes idées servent d’instrument de domination, quand celui ou celle qui les reprend cherche à en tirer un bénéfice personnel. Voilà la frontière. La franchir déclenche l’hostilité.

Il n’y pas plus simple, n’importe qui peut comprendre le mécanisme et se rendre compte qu’il se passe la même chose dans son cerveau. Il ne reste plus qu’à le traduire dans la loi. Aussi complexe la notion soit elle, tout le monde la comprendrait et serait capable de l’interpréter parce qu’elle s’appuie directement sur le fonctionnement du cerveau humain.

Un argument de poids

Si la société fonctionne comme un cerveau dont chacun et chacune de nous serait un petit bout, alors la notre est incapable d’apprendre parce que l’imitation y est interdite pour faire respecter le sacro-saint droit à la propriété. Et quand quelque chose est sacré, il faut le respecter, on ne peut rien y opposer, rien de ce qu’on met dans la balance n’a assez de poids pour faire bouger l’équilibre.

Sauf quelque chose de tout aussi sacré. Comme le droit d’apprendre. Apprendre, c’est une nécessité pour la société. Si elle n’apprend pas, elle est vite dépassée et disparaît. C’est vital d’apprendre. Si le droit à la propriété empêche de le faire, c’est la mort assurée. Voilà un argument qui a de quoi peser.

Et il est positif. Il n’est pas dirigé contre la propriété, mais pour l’apprentissage. Jusqu’à présent, remettre en cause le droit à la propriété amenait à être soupçonné de vouloir le supprimer pour le remplacer par la propriété collective dans un système ou une alternative excluait l’autre, mais avec cet argument là, on ouvre une autre voie.

On peut être à la fois pour le droit à la propriété et pour celui d’apprendre. On n’a plus d’un côté la propriété, et l’absence de propriété qui ne pèse rien de l’autre. L’apprentissage apparaît dans l’équation pour se retrouver sur le plateau d’en face. Avec une possibilité d’équilibre, alors qu’on tombait forcément d’un côté ou de l’autre avec le système binaire qui opposait la propriété à l’absence de propriété.

Ce n’est plus tout l’un ou tout l’autre, on peut avoir un pied de chaque côté. Faire un pont entre les deux plateaux de la balance. On ne tombe plus dans le vide quand on veut passer d’un côté à l’autre, on peut traverser le pont en toute sécurité. On établit un point de jonction au lieu de creuser un fossé infranchissable. Nous en avons sacrément besoin en ce moment.

Le droit à la propriété nous empêche d’apprendre

Les humains apprennent en imitant leurs parents. Mais dans la société où nous vivons, ils n’ont plus le droit de le faire arrivés à l’âge adulte, parce qu’ils doivent se distinguer des autres pour être reconnu comme un individu. Par conséquent, cette société est incapable d’apprendre parce qu’elle s’est privée de l’instrument nécessaire à l’apprentissage qu’est l’imitation.

Le diagnostic me semble clair comme de l’eau de roche, l’état d’une société en bonne santé aussi, elle encourage l’imitation au lieu de l’interdire, mais il reste à trouver la cause de la maladie pour pouvoir traiter le foyer infectieux et la remettre en pleine forme.

J’ai dit que les adultes n’ont plus le droit d’imiter. C’est donc un problème juridique, de droit, qui relève d’une interdiction arbitraire. L’état d’adulte n’empêche pas d’apprendre, les adultes en sont tout à fait capables, mais ça leur est interdit pour ne pas être rétrogradé au rang d’enfant, de subordonné.

Mais ce n’est pas volontaire. L’interdiction d’imiter n’a pas pour but d’empêcher d’apprendre. C’est une conséquence imprévisible, un effet secondaire qui vient d’ailleurs, qui interfère fortuitement avec le processus d’apprentissage sans que nous nous en rendions compte.

Si elle vient d’ailleurs, d’où sort-elle ? De la propriété. L’interdiction d’imiter, c’est une histoire de propriété. On n’a juridiquement pas le droit d’imiter ce que fait un autre, on viole son droit à la propriété. Et c’est comme ça que pour protéger la propriété on en vient à s’empêcher d’apprendre.

Pas exprès. Mais c’est une conséquence inévitable. Si on s’interdit d’imiter, on s’interdit tout simplement d’apprendre.

Neurones miroirs et propriété

Pour qu’une universitaire prenne le risque d’être exclue de la communauté à laquelle elle appartient en parlant d’anarchie, c’est qu’elle n’a pas d’autre choix, qu’elle a exploré toutes les autres voies, mais qu’il ne lui reste que celle là pour que le système qu’elle étudie fonctionne. Ce n’est pas par goût qu’elle se retrouve sur ce terrain, mais parce que la raison l’y a conduite.

Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, chacun a les siens. Par contre, la raison est universelle, n’importe qui arrive aux mêmes conclusions lorsqu’il est confronté au même problème s’il l’utilise, c’est le principe de la science qui dit qu’une expérience aboutit partout au même résultat si elle se déroule dans les mêmes conditions.

Et nous voilà directement au cœur de celui auquel cette femme s’est retrouvée confrontée. On est propriétaire de ses goûts, mais la raison est une propriété commune. Et notre cerveau arrive très bien à fonctionner malgré tout, alors qu’il rencontre tout le temps ce problème. Il sait faire tout seul la différence entre ce qui relève d’un domaine et de l’autre.

Je n’ai donc aucune raison de m’inquiéter, c’est un truc qu’il sait faire. Il ne devrait avoir aucune difficulté à l’appliquer à la propriété. Il suffit de l’y autoriser, de lui faire confiance.

Tous les humains sont dotés du même cerveau, et c’est ce qui pose la limite théorique de la propriété en commun. On a du mal à la concevoir à grande échelle parce qu’elle implique que les gens se connaissent pour qu’elle soit respectée. Il faut établir un lien spécial qu’il n’est pas possible de nouer à distance car il passe par les neurones miroirs.

Leur fonction est de synchroniser les cerveaux, de faire ressentir à l’un ce que ressent l’autre comme si les deux cerveaux ne faisaient plus qu’un. Synchronisation signifie être dans le même temps, au présent. Elle ne peut s’opérer qu’en présence de l’autre, elle devient impossible au moindre décalage. C’est comme pour la musique, il faut être dans le même temps pour que ça ressemble à quelque chose.

Il faut que le haut et le bas de la pyramide soient en présence physique pour que la synchronisation puisse avoir lieu. À l’échelle d’un village on ne peut pas faire autrement que de rencontrer tout le monde, ça passe encore à celle d’une ville de quelques centaines de milliers d’habitants, mais au-delà, la rencontre devient trop improbable pour qu’on puisse utiliser cette fonction extraordinaire de notre cerveau.

Mais les villes et les pays ont tout l’air d’être dotés de la même. Par exemple les alsaciens se retrouvent dans les bretons. Encore plus étrange, les birmans dans les argentins comme je l’ai appris lors de la coupe du monde de foot. Un alsacien qui rencontre un breton fera tout pour que ses neurones miroirs s’activent et qu’ils se synchronisent. Par contre un birman fera de même avec un argentin, mais il s’en empêchera s’il s’agit d’un anglais.

Si les birmans sont aussi fans des argentins, ce n’est que parce qu’ils ont battu les anglais au foot avec Maradona, qu’ils ont le même ennemi en commun. On décide donc d’activer ses neurones miroirs ou non, on peut y mettre plus ou moins de bonne volonté. Pour que la propriété en commun puisse se concevoir à grande échelle, c’est ce qu’il faut. De la bonne volonté. Celle de se servir de ses neurones miroirs et de leurs propriétés.

Les fleuves et les rivières nous rappelleront par la force qu’elles sont les propriétaires naturelles des vallées où elles coulent si on ne reconnaît pas leur droits

Hier soir, j’ai regardé la dernière partie du documentaire sur la propriété dont j’ai déjà parlé. Elle aborde la question de ce qui n’appartient pas à un individu, une rivière par exemple, et se demande si on ne pourrait pas la considérer comme propriétaire d’elle-même juridiquement pour lui donner des droits.

L’idée que quelque chose d’autre qu’un humain puisse être propriétaire peut paraître étrange, mais peut être que la manière dont je l’envisage pourrait la rendre plus facile à comprendre. Je pense depuis longtemps aux fleuves et aux rivières, non pas en tant que propriétaires d’eux-mêmes, mais de la vallée où ils coulent. Pour moi, la vallée leur appartient, je leur reconnaît des droits que je ne peux pas leur enlever.

Et pas par pour affirmer que j’ai atteint un niveau de conscience supérieur qui ferait de moi un membre de l’élite des mortels, mais parce que je ne peux pas les empêcher des les exercer. Les rivières finiront toujours par couler où elles veulent.

Nous avons l’illusion que nous pouvons décider de les faire passer où nous voulons, mais c’est uniquement parce que nous sommes riches. Que nous avons l’argent pour entretenir les digues, draguer les canaux pour qu’ils ne s’envasent pas.

Mais, comme toutes les civilisations, la nôtre finira par ne plus produire assez pour que nous ayons du temps et de l’argent à y consacrer. Les fleuves et les rivières reprendront leurs droits de force. L’eau nous prouvera qu’elle finit toujours par être plus forte que nous. Qu’elle coule dans sa vallée à elle, qu’elle ne nous appartient pas à nous les humains.

Et elle nous le rappellera avec la violence avec laquelle les humains exercent leur droit à la propriété, le dominium. L’eau fera ce qu’elle veut avec sa vallée. Elle en est la propriétaire naturelle. Autant le reconnaître tout de suite pour qu’elle n’en vienne pas à exercer ses droits par la force.

Je pense que tout le monde devrait maintenant comprendre plus facilement ce problème juridique, avoir permis de prendre une position à ce sujet à ceux qui me liront.

Partager les fruits de sa réflexion

La semaine dernière, Arte a diffusé un documentaire à propos de l’évolution de la notion de propriété. Il fait la même analyse que moi, nous vivons une époque qui ressemble à l’enclosure qui a eu lieu à la fin du moyen âge en Angleterre, lorsque les propriétaires ont chassé les paysans des terres qu’ils cultivaient depuis la nuit des temps pour les remplacer par des moutons dont la laine leur permettait de s’enrichir rapidement.

Le capitalisme a commencé comme ça. Et de nos jours il fonctionne toujours sur le même principe, mais au lieu de la propriété terre, il l’applique à la propriété intellectuelle. Au lieu de mettre des barrières pour empêcher d’accéder aux terres qui permettaient aux gens de produire leur nourriture, il met des barrières autour du savoir pour empêcher les gens de produire leurs idées.

Quand on vous dit qu’il faut écouter les experts, de faire ce que les sachants vous disent de faire, c’est ça. Mettre une barrière qui vous enlève le droit de produire vos idées, vous obliger à acheter celles produites par les propriétaires du savoir.

Mais qui est propriétaire du savoir ? La réponse est exactement la même que celle donnée par les juristes à propos de la terre. La terre était réputée appartenir à celui qui la cultive. C’est comme ça que ça marchait. C’est le travail de la terre qui vous en rendait propriétaire. Il suffisait d’arriver à un endroit où la terre n’était pas cultivée, de la défricher, d’enlever les cailloux, de la labourer et de semer pour que vous puissiez affirmer que ce que cette terre produit vous appartient puisque c’était le résultat des efforts que vous aviez fait pour que quelque chose de mangeable pousse à cet endroit.

La propriété résultait des efforts qu’on avait fait pour rendre la terre fertile. L’argument dont les européens se sont servi pour la colonisation, en Algérie, comme en Amérique. Ils ont décrété que les populations locales n’étaient pas propriétaires des terres sur lesquelles elles vivaient depuis toujours parce qu’elles ne semaient rien dessus, qu’elles ne savaient pas tirer partie de la richesse des terres où elles habitaient, qu’elles ne pouvaient donc pas en revendiquer la propriété qui revient à celui qui sait l’exploiter.

Ce qui est un énorme mensonge. Les terres fertiles que les européens ont trouvé n’étaient pas un don divin dont les crétins locaux n’avaient pas conscience, mais bel et bien le fruit des efforts que les populations locales faisaient depuis des siècles pour que ces terres soient fertiles. Les grandes plaines fertiles d’Amérique du nord par exemple auraient été recouvertes de forêt si les indiens n’avaient pas brûlé régulièrement les plaines pour qu’il y pousse de l’herbe fraîche qui attiraient irrésistiblement les bisons à la base de leur alimentation.

Ce n’était pas un paysage naturel, mais un environnement qui était le résultat du travail des gens qui y habitaient. Il n’y aurait jamais eu les immenses troupeaux de bisons qui sillonnaient les plaines si les indiens n’avaient pas fait en sorte qu’il y pousse de l’herbe au lieu d’arbres. Comme les terres anglaises n’auraient pas permis l’élevage des moutons si les paysans n’avaient pas enlevé les pierres des champs pendant des siècles pour qu’ils deviennent cultivables. Des pierres qui ont ensuite servi à construire les murs pour les empêcher de faire pousser de quoi se nourrir.

C’est pour ça que je continue d’essayer de produire mes idées moi-même, que je n’achète pas celles qu’on me vend. Si je les achète, je n’en suis plus propriétaire, je ne peux plus en faire ce que je veux. Mais tant que je fais quelque chose avec le savoir, que je fais l’effort d’enlever les cailloux, de labourer et de semer, je peux revendiquer mon droit légitime à la propriété et personne ne pourra m’enlever les fruits de ma réflexion, ni m’empêcher de les partager avec qui je veux.

5G: il ne faut pas se tromper de combat

Le débat autour de la 5G et de son moratoire auquel nous assistons me paraît complètement à côté de la plaque et je regrette que Franços Ruffin s’y soit à moitié laissé prendre. Pour moi, il occulte l’enjeu essentiel de cette nouvelle technologie et de celle apparue depuis 10 ou 20 ans, celui de la propriété dans un monde devenu virtuel. Et ce n’est pas Macron qui considère la propriété comme sacrée, comme le démontre l’amendement sur les expulsions de squatteurs pris en 3 jours, soi disant pour protéger le petit particulier qui a trimé toute sa vie pour s’offrir un petit pied à terre à la campagne, mais qui va essentiellement bénéficier au grands propriétaires institutionnels ou rentiers de l’immobilier intéressés par le seul l’aspect financier de leur investissement au détriment du logement des gens modestes.

Comprendre quelles seront les conséquences de la 5G sur notre société est de l’ordre de l’impossible car elle bouleverse complètement la donne. Cependant, à qui elle est destinée, on peut envisager les problèmes fondamentaux qu’elle pose. Et ce n’est pas à nous qu’elle est destinée, passer d’un téléphone 4G à un téléphone 5G ne sert en effet pas à grand chose, mais dire qu’on peut s’en passer parce qu’elle ne servirait qu’à mater du porno en hd même dans l’ascenseur est d’une connerie violente caractéristique du niveau auquel les écolos placent le débat.

La 5G est aussi appelée internet des objets, c’est donc qu’elle est destinée aux machines, à des dispositifs chargés de recueillir des données reliés à des intelligences artificielles chargées de les exploiter. Cela pose un premier problème, les données exploitées, quand c’est nous, les humains qui les fournissons, nous devenons matière première pour les machines. C’est l’exploitation des informations que nous donnons qui permet de produire une valeur ajoutée, mais nous qui les avons fournies, nous ne sommes pas rémunérés comme si elles n’avaient aucune valeur. Je dis que nous sommes dans ce cas comme les Indiens d’Amérique qui ont vendu leurs terres pour une bouchée de pain parce qu’ils ne pouvaient pas imaginer comment une terre qui était là depuis des temps immémoriaux et qui seraient encore là aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera pouvaient devenir la propriété exclusive d’un homme par définition de passage sur cette terre. Aujourd’hui, nous avons du mal à imaginer comment les informations qui définissent notre personnalité pourraient appartenir à quelqu’un d’autre que nous, mais dans les faits c’est bien le cas, elles appartiennent à Google, Amazon, Facebook ou Apple qui en font ce qu’elles veulent sans nous demander notre avis et en retirent des bénéfices. C’est déjà le cas avec la 4G et internet plus généralement, mais c’est un débat essentiel qui mériterait amplement d’être ouvert publiquement. N’oublions pas que le modèle de Jeff Bezos pour Amazon est celui de la compagnie orientale des Indes.

Mais avec la 5G, cela va bien au-delà. Pour comprendre ses immenses enjeux, il faut savoir comment fonctionne le deep learning, l’apprentissage profond des machines. C’est un concept qui bouleverse de fond en comble la notion de programmation. Avant cela, pour qu’un robot puisse accomplir une tâche, il fallait que le programmeur humain programme chaque action qu’elle doit accomplir successivement pour atteindre son objectif final, et qu’il envisage tous les cas de figure dans lesquels la machine pourrait se retrouver. C’est long et très compliqué. Mais avec le deep learning, cela ne se passe plus de cette manière. Il suffit de donner à la machine, qui est une intelligence artificielle, une situation de départ puis de lui dire quelle situation d’arrivée on souhaite, et c’est à elle toute seule de trouver les moyens d’y arriver.

Pour que cela soit plus clair, je vous donne l’exemple que j’ai vu. On prend un bras robotisé relié à une IA (intelligence artificielle), on lui dit cet objet est une clef et elle doit rentrer dans cette autre objet qui est une serrure et pouvoir tourner. A l’IA de trouver comment faire. Elle procède donc de la manière la plus bête du monde, par essai/erreur. Avec un seul bras robotisé, cette opération prendrait beaucoup, beaucoup de temps. Mais l’avantage de l’IA, c’est qu’elle est capable de mettre au travail non pas un seul et unique bras, mais plusieurs, 50 dans l’exemple que je vous donne. Et à chacun de ces bras d’essayer quelque chose de différent, puis d’informer l’IA du résultat qui le partagera avec tous les autres. Au départ cela donne l’impression que c’est très désordonné et que cela ne donnera jamais rien, mais à partir du moment où un bras a trouvé la première étape, saisir la clef, cela devient très impressionnant de voir d’un coup tout ce désordre devenir cohérent et 30 robots sur 50 réussir soudainement à saisir le bout de métal qui leur échappait jusqu’à présent quand les 20 autres travaillent encore à adapter cette nouvelle fonction au cas de figure différent des 30 autres auquel ils sont confrontés. Comme pour le covid19, la progression est exponentielle, elle offre des possibilités vertigineuses, et la 5G qui relie les machines entre elles en est la clef. C’est le système nerveux qui permettra aux IA de contrôler le corps formé par les robots. Le bouleversement que cela produira est inimaginable.

Mais maintenant, regardons les problèmes de propriété que cela pose. A qui appartient le programme qui permet d’accomplir la tâche demandée ? Ce programme, ce n’est pas un humain qui l’a écrit, mais c’est bel et bien l’IA assistée de ses bras robotiques qui l’a créé. A qui appartient t-il donc ? A l’IA ? Aux bras qui ont fourni les données ? Au propriétaire de l’IA ? Ou encore à celui qui a demandé à l’IA d’accomplir cette tâche sans qui rien n’aurait été produit ? Au départ, vous me direz certainement que c’est au propriétaire de l’IA que cela appartient, mais n’oubliez pas que c’est exponentiel, que cette notion de propriété se dilue de plus en plus vite au fur et à mesure que les IA produisent du programme, ce qui fournit des données qui permettent d’améliorer les IA qui peuvent dès lors s’améliorer toutes seules.

Pour que cela soit plus clair, prenons un exemple. Prenons un robot qui appartient à quelqu’un qui en a déposé le brevet et confions le à une IA chargée de le modifier pour le rendre plus performant. Au bout d’un moment, ce robot modifié ne ressemblera plus du tout au modèle breveté, sa conception aussi bien que son programme seront très différents de l’original, peut être pourra t-il accomplir de nouvelles tâches auxquelles le concepteur n’a jamais pensé et ce sans qu’il n’ai rien fait pour que ce progrès s’accomplisse. Peut-il encore vraiment revendiquer la propriété de cette machine en tous points différents ? Et si non, à qui appartient-elle alors ?

Vous voyez maintenant l’ampleur réelle des enjeux autour du déploiement de la 5G. Et encore, ce n’est là qu’un aspect, d’autres tout aussi fondamentaux sont en jeux. La sécurité nationale en est un autre par exemple. Peut-on envisager qu’une puissance étrangère qui fournirait les équipements nécessaires aux fonctionnement de cette technologie essentielle soit en mesure de les paralyser sans notre accord ? A ce sujet, j’ai entendu l’histoire de l’armée égyptienne qui voulait procéder à un bombardement aérien en Libye. Quand ils ont voulu décoller, leurs avions n’ont tout simplement pas démarré, car ils ont été coupés à distance par leur fournisseur américain qui désapprouvaient cette initiative. Du coup, ils ont commandé des rafales. Comme Narendra Modi, le nationaliste indien, qui ne voudrait pas que la même mésaventure lui arrive au cas où il lui prendrait l’envie de balancer une bombe atomique sur le Pakistan.

Pour conclure, je dirai qu’il est grand temps que la société civile s’empare de ces problèmes essentiels engendrés par les technologies nouvelles. Il me semble que c’est là que se posent les enjeux démocratiques vitaux et j’espère que vous serez d’accord avec moi Monsieur Ruffin et que vous porterez ce débat sur la place publique, comme ce n’est pas en mon pouvoir. A part vous ou Benoît Hamon, je ne vois pas qui le fera

Une réponse est un lieu dont nous connaissons le chemin d’accès. Mais on a beau connaître chaque virage, chaque croisement, chaque arbre au bord de la route, on ne peut pas pour autant la situer sur la carte.

Voilà pourquoi je ne réponds jamais directement aux questions qu’on me pose. Je préfère donner les coordonnées de ce point, comme un GPS le ferait. Comme lui, je trace des cercles, il en faut trois au moins. « Ta réponse se trouve dans ce cercle, ce cercle et ce cercle. Là d’après les données de la question que tu m’a posée. Rends toi à leur intersection et tu auras trouvé ta réponse ».

Ta réponse, pas la mienne. Ton chemin, pas le mien. Je te prends par la main, mais c’est toi qui me guide dans ce no man’s land qu’est la vie. Viens je t’emmène au pays des merveilles, celui où tous les rêves sont une solution à une équation.