Apprendre à se croiser dans les escaliers

Aller vers le progrès équivaut à construire des bâtiments de plus en plus hauts. La société n’est rien d’autre qu’une construction intellectuelle au lieu d’une construction matérielle. Elle doit donc être soumise aux mêmes règles que celle d’une construction physique.

Et ce sont les fondations qui déterminent avant tout la hauteur qu’un bâtiment peut atteindre. Ce sont elles qui supportent tout le poids de l’édifice. Si on en met trop dessus, il s’écroule. La première chose à faire quand on veut rajouter un étage est donc de vérifier que les fondations pourront le supporter, et de les renforcer si nécessaire.

C’est de la pure logique. Mais si on la résume, ça donne quelque chose comme : pour monter, il faut descendre. Ça n’a pas de sens. On s’y perd. On ne sait plus ce qui est le haut et ce qui est le bas, puisque le progrès circule indifféremment dans les deux directions. Creuser va également dans le sens de la hauteur.

On ne peut plus savoir par où un va. Si on croise une personne qui va dans le sens inverse du notre et qu’on lui demande où elle va, elle vous répondra : « Vers le progrès ». Et vous lui direz : « Ah merde, moi aussi ». Et il s’ensuivra inévitablement une engueulade, voire une baston qui peut aller jusqu’à l’homicide pour savoir qui des deux a raison.

Il faut donc un troisième pour leur expliquer ce qui se passe. Qu’ils ont raison tous les deux, mais que l’un descend vers les fondations et l’autre monte dans les étages, mais qu’ils participent à la construction du même édifice, même s’ils ne vont pas dans le même sens dans les escaliers.

Et s’ils comprennent ce que l’autre fait, ils devraient pouvoir se croiser avec courtoisie au lieu de se rentrer dedans.

Une question d’ordre

Le matin, je commence par une balade dans mon monde intérieur, et ce n’est qu’après que je me tourne vers le monde extérieur, que je sors faire un tour au jardin, pour voir si les deux sont organisés de la même façon. Je reviens ensuite à mon monde intérieur que je modifie si nécessaire pour que les deux correspondent le mieux possible.

Je fais toujours les choses dans cet ordre. Du moins, j’essaye. Je suis pour l’ordre. C’est une découverte pour moi. Jamais je n’aurais pensé dire ça un jour. Je déteste l’ordre, la hiérarchie. Je suis anarchiste, bordel !

Voilà donc ce que je veux dire par là. Le monde extérieur est ma référence. Ce n’est pas à lui de s’adapter à mon monde intérieur, mais à moi d’adapter mon monde intérieur au monde extérieur. C’est le bon sens, personne ne peut me dire le contraire.

La question de l’ordre est à présent réglée pour moi. Je ne respecte que celui-là.

Comme un poisson dans l’eau

L’eau coule toujours d’un point haut vers un point bas, elle va toujours dans ce sens. Elle ne peut aller dans l’autre. On peut donc qualifier ce sens de bon puisqu’il correspond à la réalité. L’eau a du bon sens. Mais dans une rivière, il y a des poissons qui eux peuvent remonter le courant. Ils finiraient dans la mer et mourraient dans l’eau salée s’ils ne le faisaient pas. Pour eux, le bon sens serait plutôt d’aller du point bas vers le point haut.

Conclusion : le bon sens, ça n’existe pas. Le bon sens peut consister à suivre le courant ou à le remonter, ça dépend. Ce qui pose un problème de communication. Il faut aller dans la même direction pour communiquer, pour se coordonner. Se mettre d’accord pour que le bon sens soit le même pour tout le monde. Arbitrairement.

Ça s’appelle une convention. Il n’y a pas de raison pour qualifier un sens de bon et l’autre de mauvais, mais c’est nécessaire pour que l’autre sache duquel on parle. Une convention nécessaire à la vie en société.

Les règles de la vie en société sont faites pour que tout le monde aille dans le même sens. Peu importe lequel, mais il faut que ce soit le même. Elles ne servent qu’à s’assurer que nous parlons bien de la même chose.

Le choix du sens est neutre. L’erreur consiste à l’associer à bon ou mauvais. Personne ne veut aller dans le mauvais sens. Ce qui ne serait pas le cas si on l’associait par exemple à une couleur, ou a une température. Vers le bleu, vers le froid quand on suit le sens du courant, et rouge, vers le chaud quand on le remonte.

Ou l’inverse. Peu importe, il suffit de se mettre d’accord, pour obtenir le même résultat pour la communication qu’avec bon et mauvais. Cette notion morale en moins. On devrait pouvoir discuter plus posément si on l’élimine de l’équation.

La culture, c’est notre nature

Voilà ce qui fait s’emballer la machine lorsqu’on oppose nature et culture. L’espèce humaine produit naturellement de la culture, il n’y a pas d’opposition, ça va dans le même sens.

Les brancher en sens opposé produit tout bêtement un court circuit qui fait cramer tout le système.

À moins de débrancher à temps.

Un petit cerveau déporté

Contrairement à nos autres sens, le toucher n’est pas traité par une aire spécifique de notre cerveau, mais partout. Il occupe une surface tellement plus grande que les 4 autres qu’il est comparable au Soleil qui pèse à lui seul plus de 90% de la masse de tout le système solaire. Il doit donc être au centre de notre système sensoriel, les autres ne font que lui tourner autour sans que nous nous en apercevions.

Et nous ne nous en apercevons pas parce qu’il est trop loin. Beaucoup plus lourd que les autres, il doit y avoir une grande distance avec les autres plus légers pour qu’ils puissent échapper à la puissance de la force d’attraction qu’il exerce et ainsi éviter d’être absorbés.

Le modèle marche bien. Il suffit d’attribuer une masse en fonction de la surface de cerveau occupée par les sens pour que le système se mette en place tout seul, avec un résultat qui correspond à ce qu’on observe. Il passe l’épreuve si facilement qu’on n’en perçoit pas la limite. Il faut donc pousser plus loin pour la trouver.

Selon ce modèle, chacun et chacune de nous serait une étoile/toucher autour de laquelle tournent des planètes/sens. Et la société deviendrait donc une galaxie. Un amas d’étoiles qui tournent toutes ensemble autour d’un centre. On sait maintenant que c’est un trou noir.

Le modèle ne fonctionne qu’avec un trou noir au centre. Ce sont des monstres, les trous noirs. Ils dévorent tout ce qui passe à leur portée, ce sont des ogres qui bouffent leurs enfants. S’il y en a un dans notre cerveau, c’est le lieu de tous nos cauchemars.

Et il y en a bien un qui correspond à cette description. Si nous nous sommes trompés et que nous avons mis la vue au centre à la place du toucher, c’est peut être parce qu’ils se ressemblent. La rétine est si riche en neurones qu’elle peut être considérée comme un petit cerveau relié au gros à elle seule.

Elle y est reliée par un câble, le nerf optique. L’endroit où il est connecté à la rétine est le seul où ne se trouvent aucun capteur, ni cône, ni bâtonnet. Autrement dit, c’est un trou noir. Un véritable trou noir dans l’image dont on n’a aucune idée qu’il existe avant d’avoir pris une feuille avec un point et une croix tracés dessus, et d’avoir vu la croix disparaître pour être remplacée par le quadrillage de la feuille à une certaine distance quand on fixe le point. C’est de la sorcellerie.

Le petit cerveau déporté qu’est la rétine s’organise donc bien autour d’un trou noir. Le gros aussi. Il y a également un câble énorme qui plonge sous la surface pour aboutir à notre cervelet en plein milieu de notre crâne. Un endroit d’où les informations en provenance de notre corps remontent. Il n’y a pas de capteurs reliés à l’extérieur à cet endroit, pas même au toucher qui est pourtant présent partout, il n’y a que du câble.

Nous avons donc aussi un trou noir dans le cerveau. Et nous savons où il mène : au cervelet. C’est lui qui se trouve à l’intérieur trou noir. Un endroit où les lois de la surface n’ont plus cours. Les lois de la physique ne sont pas les mêmes d’un côté et de l’autre de l’horizon des trous noirs.

Rien n’empêche par exemple que ce soit pour tout le monde le même. Que les étoiles toutes différentes les unes des autres que nous sommes, dont les planètes ne tournent jamais exactement à la même distance que celles des autres, tournent toutes autour d’un trou noir unique relié à chaque individu, dont chaque être vivant constituerait le point d’arrivée d’un câble qu’on ne perçoit pas parce qu’il est câble et non capteur.

Même poussé à sa limite, le modèle tient. Il fait réfléchir, on dirait un miroir.

Un sculpteur parmi les peintres

Je suis maintenant à peu près convaincu de ce que je raconte. Le mode d’acquisition des informations que nous utilisons est déterminant. Et le toucher est le plus riche de nos 5 sens, le plus précis, celui qui permet le passage de la plus grande quantité possible d’informations de l’extérieur vers l’intérieur.

C’est donc le plus fiable, celui dont il faut se servir. Ce que je dois faire moi. Je me sers du toucher comme référence au lieu de l’image. Je n’envoie pas les informations internes que je traite vers mes yeux pour me les représenter. Je les sculpte au lieu de les peindre.

C’est tellement bête que je n’y avais jamais pensé. Je suis un sculpteur dans un monde de peintres. Et une sculpture, c’est une représentation plus proche de la réalité qu’une peinture. Point barre. Là je peux être affirmatif. Si je fais effectivement de la sculpture mentale au lieu de peindre comme tout le monde, la représentation que j’obtiens est plus proche de la réalité que celle des autres.

Et il n’y a plus rien d’étonnant à ce que je n’arrive à parler à personne puisque je ne parle pas de la même chose. Je parle sculpture, mais on me répond peinture. Ce qui me donne envie de savater à peu près tout à peu près tout le monde. Arrêtez de me faire chier avec vos pinceaux et vos couleurs, je m’en bats les couilles, je suis sculpteur.

Et comme la représentation que j’obtiens est plus proche de la réalité, je n’en démordrai pas. Ce n’est pas à moi de me mettre à la peinture. Je n’ai rien contre, mais une sculpture, ça se peint quand elle est terminée. Ce n’est pas avec la couleur que je cherche à représenter la matière, mais avec la matière. Ça n’a rien à voir avec ce que fait la grande majorité des gens.

Mais ils peuvent s’y mettre. Si je suis persuadé que la sculpture est le représentation la plus proche de la réalité qu’on puisse obtenir, je suis loin de me croire le meilleur sculpteur. Savoir ce qu’il faut faire ne signifie pas que je le fais le mieux. Je bricole, je tâtonne, c’est le mot approprié pour la sculpture. J’ai hâte que d’autres s’y mettent, des plus douées que moi. Au féminin parce qu’avec mes grosses paluches, je pense difficilement pouvoir atteindre la finesse d’une main de femme.

Mais encore faudrait-il que je trouve un argument qui démontre la supériorité du toucher sur la vue pour se représenter la réalité afin de convaincre qu’il convient de passer à la sculpture. Utiliser un sens plutôt qu’un autre, ce n’est qu’un choix arbitraire. Si je prétends que le toucher est supérieur aux autres, je dois trouver une bonne raison de choisir celui-là et pas un autre. C’est le meilleur moyen pour convaincre les autres de s’y mettre aussi.

Et je pense en avoir trouvé un qui devrait aller dans ce sens. Nos sens sont reliés a des aires spécifiques du cerveau. Les images se forment par exemple dans la région située à l’arrière de notre crâne, les sons dans la zone près des oreilles. Chacun a son petit bout de cerveau dédié. Sauf le toucher. Le toucher n’est pas relié à une aire spécifique, mais à toute la surface de notre cerveau.

Avec le toucher on traite les informations avec tout notre cerveau, y compris les aires qui s’occupent spécifiquement des yeux, des oreilles, du nez et de la langue. Il mobilise tous les neurones disponibles au lieu d’une partie seulement. Il a donc la plus grande capacité de calcul de tous les sens, c’est à lui qu’il faut adresser les problèmes les plus compliqués si on veut les résoudre.

Une boîte d’allumettes et un bidon d’essence

Dans mon bled, il faut prendre rendez-vous sur internet pour pouvoir renouveler sa carte d’identité. Mais le site n’est accessible qu’à un certain créneau horaire. Deux heures par jour. Entre 3h et 5h du matin. Et il faut se présenter avec une facture papier envoyée par la poste où figurent votre nom, prénom et adresse, et bien sûr la photo avec l’expression du visage réglementaire.

Voilà le résultat concret du système. Celui qu’on obtient quand l’état applique les méthodes de management du personnel en entreprise. Tous ceux et celles qui peuvent démissionner démissionnent de leur boulot pour ne pas avoir à les subir. Mais comment fait-on pour démissionner de son pays ?

C’est une question folle. Mais avec ce genre de choses imposées à mes parents de 75 ans qui ont passé leur vie au service de la communauté dans le service public, je suis amené à me le demander. Elle est là la folie.

Elle vient de nos dirigeants. Ce sont eux qui me poussent à me poser cette question. Eux qui mettent en place des règles absurdes dans lesquelles je ne me reconnais pas, que je refuse d’intégrer à mon système de pensée parce qu’elles n’ont aucun sens.

C’est un jeu dangereux. Nos dirigeants, qui sont des gens intelligents, devraient comprendre qu’eux seuls peuvent siffler la fin de la partie. Moi, la seule solution que j’ai trouvé, c’est une boîte d’allumettes et un bidon d’essence.

Je crains que ce ne soit la réponse que trouveront tous ceux et celles poussés à se poser cette question.

Se remettre à l’endroit

Si le système a été retourné comme une chaussette par les spin doctors, il s’agit donc de le remettre à l’endroit, de faire le chemin inverse. On pense forcément que ça va prendre du temps, autant qu’il en a fallu aux communicants pour retourner complètement le système, ça paraît logique.

Mais avec moi, il faut se méfier. Quand je dis logique, je pense toujours que c’est une logique. Une logique parmi d’autres. Qu’il y a au moins une autre logique à laquelle la conclusion à laquelle on est arrivé ne s’applique pas. Dans notre cas, que nous pouvons nous remettre du bon côté de la chaussette sans avoir besoin de la retourner comme les spin doctors l’ont fait.

C’est complètement anti-instinctif, mais au lieu de se précipiter pour arriver au bout du chemin inverse le plus vite possible, il vaut mieux s’arrêter et réfléchir. Faire un peu de théorie avant de passer à l’action, histoire de voir s’il n’y aurait pas moyen d’économiser l’énergie et le temps du voyage retour. Il faut un peu se creuser le chou.

Il faut se demander où se situe le point qu’on veut atteindre par rapport à celui où on est. Il paraît être derrière nous. Mais on ne peut pas revenir en arrière, il faudrait remonter le temps. L’astuce de la chaussette permet de résoudre ce problème. En se retournant, le chemin qui était derrière passe devant, et on peut le prendre en sens inverse tout en respectant celui du temps.

Mais où ce chemin nous mène t-il ? De l’autre côté, du bon côté de la chaussette. Au point le plus éloigné de celui où on se trouve. Celui qui est de l’autre côté du tissus. Sous nos pieds. En traversant l’épaisseur du tissus de la chaussette, on y est directement. La distance à parcourir est ridicule. On est tenté de creuser au lieu de se fatiguer à refaire tout le tour.

En tout cas, les grosses feignasses comme moi sont tentées de creuser pour avoir le moins de distance possible à parcourir. On pense à l’économie d’énergie et au gain de temps que ça représenterait si on arrivait à creuser un tunnel entre les deux côtés de la chaussette. Sans se rendre compte de la difficulté de l’entreprise.

Les romains se disaient déjà qu’ils pourraient envahir plus facilement l’Angleterre s’ils arrivaient à creuser un tunnel sous la Manche. Napoléon aussi. Ils n’y sont pas parvenus, mais aujourd’hui, il existe. On aura aussi un jour un tunnel qui reliera les deux côtés de la chaussette.

La chaussette et son retournement qui sont ce qu’il y a de plus proche de la forme que j’imagine pour le tissus de l’espace-temps. J’ai l’impression d’être désorienté, que tout tourne autour de moi, comme si je me trouvais sur une chaussette qu’on est en train de retourner. Et que tout l’univers est animé de ce mouvement qui donne la nausée quand on essaye de les suivre. Je n’arrive à l’éviter qu’en creusant un tunnel qui m’amène de l’autre côté en ligne droite.

Faire émerger une idée

Les idées émergent de notre cerveau comme les volcans à la surface de la mer. Ce sont des îles sur lesquelles nous trouvons du sens, auxquelles nous nous accrochons au milieu d’un océan d’ignorance.

En tout cas, c’est comme ça que je vois les miennes. Un volcan sur lequel je remets presque tous les jours une couche pour que mon île finisse par émerger de l’océan qui la ronge dès qu’elle dépasse à la surface. Si j’y parviens, elle deviendra habitable, je ne serai plus isolé comme Robinson Crusoé, d’autres viendront me rejoindre.

Ce principe me paraît assez solide pour m’y accrocher. C’est un modèle qui a du sens. Il contient le germe qui devrait pouvoir faire cristalliser cette idée chez tout le monde. La comparaison entre notre cerveau d’où sortent des idées et notre planète d’où surgissent des îles à la surface de l’océan n’est pas qu’une métaphore abstraite. Elle décrit ce qui s’est passé physiquement avec notre cerveau.

Sa particularité par rapport aux autres espèces, c’est sa surface. La surface du cerveau d’homo sapiens est plus grande que celle de nos ancêtres, que Lucy, par exemple. Mais cette augmentation de sa surface n’est qu’une conséquence. Celle de l’augmentation du volume d’une autre partie de notre cerveau située en dessous, le cervelet.

Il a gonflé, fait craquer la surface et s’est étalé comme le plancher océanique à partir des dorsales. Et comme il n’avait pas la place, il a fait des plis, creusé des vallées, formé des montagnes. C’est le flux de matière cérébrale, de cortex, qui vient des profondeurs qui a transformé notre cerveau physiquement.

Et si le flux de matière va dans ce sens, celui des idées doit suivre le même. Elles remontent du cervelet pour former les îles auxquelles nous pouvons nous accrocher comme la lave remonte des entrailles de la Terre. Ça se passe en dessous, dans le cervelet, pas à la surface.

Sur la bonne pente

Un éléphant, c’est un humain, avec le doute en moins. Ça ne se trompe pas énormément, ça ne se trompe jamais un éléphant. Contrairement à nous, ils savent où ils vont. Ils sont infaillibles. Comme les rois, les papes, les présidents de la république française ou ma mère. Ou comme l’eau qui trouve toujours son chemin vers la mer.

La mer où je viens de me jeter, je ne sais plus quoi dire après ça. J’étais emporté par le courant de mes idées, j’allais dans le sens de la pente, j’avais une direction claire, mais arrivé à la mer, il n’y a plus ni pente, ni sens, ni direction. C’est un autre milieu, avec des règles différentes.

Un milieu parfaitement calme. Avec les rois, les papes, les présidents de la république française et ma mère, je suis dans un milieu extrêmement agité, des rapides bouillonnants qui finissent par se jeter dans le vide, mais quand j’arrive à la superposition de leur comportement avec celui de l’eau, je ne ressens plus aucun mouvement.

Le facteur humain change de côté de l’équation, je ne suis plus pris dedans, les émotions sont neutralisées. Je n’ai aucun pouvoir sur l’eau. Je ne cherche pas à agir sur son comportement, je ne peux pas lui dire qu’elle devrait faire autre chose que ce qu’elle fait. L’eau est vraiment infaillible, je n’ai rien à lui reprocher.

Et si je n’ai rien à reprocher à l’eau, je n’ai rien à reprocher aux humains qui se comportent comme elle. Si on cherche un chemin vers la mer, l’important, c’est de le trouver. De faire ce qu’il faut pour le trouver. De laisser l’eau trouver son chemin toute seule au lieu de la canaliser.

Pour moi, c’est ça l’erreur de conception de notre société. On cherche trop à canaliser les gens, à leur faire suivre des lignes droites pour que les bateaux de commerce puissent leur passer dessus. Toute l’eau va dans la même direction à grande vitesse, elle ne forme plus de bras morts qui sont autant de tentatives de trouver un passage vers une autre vallée qui la rapprochera de la mer au lieu de s’accumuler dans le cul de sac vers lequel on l’a dirigée.

La société trouvera son calme dès qu’elle trouvera le chemin qui conduit les gens vers leur mer mentale, quand elle leur ouvrira la voie vers ce milieu aux règles différentes où il n’y a plus ni direction, ni sens, ni pente.