Le temps de lever l’interdiction de faire simple est arrivé

Les gens civilisés mangent avec des couverts, pas avec leurs doigts. Voilà comment on habitue les gens à faire compliqué au lieu de faire simple. C’est plus simple de prendre directement les aliments avec les mains que d’apprendre à les saisir avec un instrument, mais la civilisation l’interdit. La civilisation, c’est ça. L’interdiction de faire simple, s’obliger à faire compliqué.

Et dans tous les domaines, pas que dans celui de l’alimentation. Mais celui là permet particulièrement bien de se rendre compte que ça devient absurde quand on va trop loin. Jusqu’à manger une banane posée dans une assiette avec un couteau et une fourchette. Je ne déconne pas. Quand on est vraiment très civilisé, c’est ce qu’on fait.

Moi, non seulement j’utilise mes mains, mais je les ouvre par le bas. Pas par le côté où il y a un bout qui dépasse. Parce que j’ai vu les grands singes faire comme ça. Pour constater qu’ils enlèvent le petit bout immangeable qui gâche tout le plaisir en premier au lieu de se le garder pour la fin. Ils ne se laissent pas attirer par l’excroissance qui invite à tirer dessus comme les humains. Ils sont moins cons que moi.

Voilà un exemple. Plutôt amusant, La Fontaine aurait pu en faire une fable. Mais ce principe s’applique dans tous les domaines. Il nous fait nous rendre compte des limites de la civilisation. Il fallait les franchir pour savoir où elles sont, mais ce serait de la folie de continuer dans cette direction. Le temps de lever l’interdiction de faire simple est arrivé.

Il me semble que c’est une bonne nouvelle. Elle devrait se répandre sans difficultés

Une boîte d’allumettes et un bidon d’essence

Dans mon bled, il faut prendre rendez-vous sur internet pour pouvoir renouveler sa carte d’identité. Mais le site n’est accessible qu’à un certain créneau horaire. Deux heures par jour. Entre 3h et 5h du matin. Et il faut se présenter avec une facture papier envoyée par la poste où figurent votre nom, prénom et adresse, et bien sûr la photo avec l’expression du visage réglementaire.

Voilà le résultat concret du système. Celui qu’on obtient quand l’état applique les méthodes de management du personnel en entreprise. Tous ceux et celles qui peuvent démissionner démissionnent de leur boulot pour ne pas avoir à les subir. Mais comment fait-on pour démissionner de son pays ?

C’est une question folle. Mais avec ce genre de choses imposées à mes parents de 75 ans qui ont passé leur vie au service de la communauté dans le service public, je suis amené à me le demander. Elle est là la folie.

Elle vient de nos dirigeants. Ce sont eux qui me poussent à me poser cette question. Eux qui mettent en place des règles absurdes dans lesquelles je ne me reconnais pas, que je refuse d’intégrer à mon système de pensée parce qu’elles n’ont aucun sens.

C’est un jeu dangereux. Nos dirigeants, qui sont des gens intelligents, devraient comprendre qu’eux seuls peuvent siffler la fin de la partie. Moi, la seule solution que j’ai trouvé, c’est une boîte d’allumettes et un bidon d’essence.

Je crains que ce ne soit la réponse que trouveront tous ceux et celles poussés à se poser cette question.

Pour résoudre un problème, trouver sa source

La semaine dernière, les médias ont beaucoup parlé d’un sondage à propos des jeunes et de la science. Ils en ont avant tout retenu que 19% des sondés ont répondu que les pyramides d’Égypte ont été construites par les extra-terrestres.

Une catastrophe pour les commentateurs que j’ai entendu, comme Patrick Cohen ou Pascal Blanchard qui se sont alarmés du niveau intellectuel de la jeunesse. Pascal Blanchard est allé jusqu’à dire que ceux qui ont répondu ça devraient consulter.

Qu’il sont donc fous, différents de lui, qu’il ne se reconnaît pas en eux. Le principe de séparation entre les humains qui a permis aux crimes du colonialisme d’avoir lieu, sujet de prédilection de l’historien qu’est Pascal Blanchard. Et il ne s’en est pas aperçu. J’ai eu envie de lui coller une baffe. Non pas pour le punir par la douleur, mais pour qu’il se réveille. De le bousculer pour qu’il sorte de sa logique, qu’il remette son cerveau à zéro pour qu’il réalise la connerie qu’il fait.

Samedi soir, j’ai donc demandé qui avait construit les pyramides à ma nièce qui à 12ans. Elle m’a répondu : les égyptiens. Je lui ai ensuite demandé si elle s’était déjà posé la question, elle m’a dit non, si elle en avait quelque chose à foutre, également non, et si elle aurait pu répondre les extra-terrestres si je le lui avais proposé. Là : oui.

J’aurais fait pareil. À une question débile, j’aurais donné une réponse débile. Quand on me prend pour un con, je joue au con. Je renvoie en miroir la connerie de la question à celui qui me la pose. Socrate aurait fait la même chose. C’est la réponse la plus intelligente, celle qui renvoie à l’absurdité de la question.

C’est absurde de demander aux gens de répondre à des questions auxquelles ils n’ont pas réfléchi. Et tires des conclusions définitives sur les gens à partir de ces réponses encore plus. C’est même criminel de tirer des conclusions à partir de données aussi merdiques, sujettes à manipulation, qu’un sondage. Il faut vraiment être le dernier des crétins pour exploiter une source d’informations aussi pourrie, aussi dangereuse pour la santé qu’une flaque d’eau croupie.

On ne mange pas de ce pain là quand on est intelligent, on ne s’abreuve pas des ces informations quand on a un cerveau en état de fonctionner correctement. Elles sont toxiques.On crève si on laisse pénétrer ces informations dans notre système de pensée. Ce sont elles qu’il faut combattre pour vaincre la maladie, pas ceux qui en sont porteurs.

Qui a commandé ce sondage ? Dans quel but ? Voilà les questions qu’il faut se poser si on veut apprendre quelque chose d’utile à la compréhension du fonctionnement de la société. La réponse à la seconde est évidente : pour diviser les gens en deux camps dont chacun pense qu’il ne peut pas s’entendre avec l’autre, qu’ils n’ont rien en commun, pour désigner un ennemi. Un prélude classique à la guerre, au génocide.

Je suis vieux, mais les jeunes ne sont pas mes ennemis, je n’ai aucune envie de me battre contre eux. Je les comprends, j’aurais donné la même réponse qu’eux. Je me reconnais en eux, on est fait pareil ma nièce et moi.

Ceux en qui je ne me reconnais pas, ce sont les gens qui cherchent à nous diviser elle et moi. Ce sont eux les ennemis, ceux qui mettent la société en danger. Ni Pascal Blanchard, ni Patrick Cohen, mais ceux et celles qui décident de leur donner la parole dans les médias, leurs propriétaires. Ce sont eux la source du problème.

Apprendre à dire non

Il ne manque qu’un modèle. 30% de la population américaine soutient les démocrates, 30% les républicains, reste 40% pour qui aucun des deux ne propose un modèle qui leur convient. La majorité ne se reconnaît ni dans l’un, ni dans l’autre, mais elle est obligée de choisir entre deux incarnations difformes de sa pensée, aussi absurdes que le choix entre avoir un bras de 3 mètres ou être suivi toute sa vie par une famille de canards qu’on se donnait par jeu il y a quelques années.

Ce n’était pas pour nous amuser qu’on jouait à ce jeu, mais pour apprendre à nous battre. Comme les jeunes animaux apprennent à se battre en jouant entre eux. Apprendre quoi ? À dire non. À ne pas répondre à une question absurde.

Je suis un animal, je déteste me retrouver coincé dans un coin sans possibilité de fuite. Mon ami Philippe me compare à Hulk. Je me transforme en monstre que rien n’arrête, je suis déjà mort, un zombie qui ne reconnaît plus ses semblables quand on m’accule dans un coin.

Je deviens dangereux, j’ai peur de ce que je suis capable de faire si je ne contrôle plus ma force, de tuer quelqu’un. Comme j’aurais peur de tuer une femme si je m’attaquais à elle à coups de poings. J’ai plus peur pour celui qui me coince que pour moi quand on me met dans cette situation.

Voilà à quoi conduisent les choix absurdes qu’on nous propose. Au monstre qui sommeille en nous.

Réconcilier le corps social et sa tête

Il n’y a pas assez de monde pour accueillir les touristes cet été. Le secteur cherche à recruter, mais il n’y arrive pas. Les gens ne veulent plus travailler dans ces conditions. C’est la même chose dans l’éducation où il manque de professeurs, ou encore dans la santé. Depuis le covid et le confinement, plus personne n’accepte ces boulots là, les américains ont même donné un nom au phénomène : « la grande démission ».

Le covid a arrêté la société et quand elle a redémarré, sa configuration a changé. Les gens ont eu le temps de réfléchir, ils n’avaient rien d’autre à faire que de réfléchir. De se regarder comme dans un miroir, ils ont eu le temps de voir à quoi ils ressemblent. C’est ça réfléchir, sortir de l’action pour pouvoir adopter un point de vue extérieur.

Et des millions de gens dans le monde sont arrivés à la même conclusion : on arrête. Et c’est logique. La politique qui vise au plein emploi, à faire travailler tout le monde autant que possible, arrive à son terme. Les gens travaillent presque tous, mais ils sont quand même pauvres. Ça ne sert à rien de bosser comme un âne pour rester pauvre. Plus les gens travaillent, plus il y a de pauvres, c’est absurde. Et quand c’est absurde, on arrête.

Le cerveau humain fonctionne comme ça. Il faut qu’il s’arrête pour trouver du sens. Et il s’arrête quand il n’en trouve pas. Le covid a arrêté le cerveau des gens qui ont été obligés de lui trouver autre chose à faire que de penser uniquement au travail du matin au soir, à trouver un autre sens à leur vie, et ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas le suivre quand ils ont dû retourner au boulot.

Ce qui leur paraissait normal avant l’arrêt du cerveau leur est apparu absurde.

Parce qu’il a trouvé un autre sens et qu’il veut suivre celui là. Abandonner le chemin sur lequel il était auparavant, dont il s’est aperçu qu’il ne menait nulle part quand il a pu arrêter de regarder où il mettait les pieds et lever le nez pour faire le point sur sa position. C’est tout bête, du fonctionnement de base.

Mais le cerveau de nos dirigeants ne s’est pas arrêté, lui, pendant le confinement. Ils étaient au taquet, ils se sont sentis surpuissants, inarrêtables. Le nez dans le guidon, le regard collé à la route, sans aucune idée d’où il allaient. Ils n’ont pas fait le point sur leur position comme tout le monde.

Le blocage des institutions auquel nous assistons un peu partout sert à ça. À obliger nos dirigeants à arrêter leurs cerveaux et à faire le point, comme les gens qu’ils dirigent ont été obligés de le faire. C’est pour qu’ils comprennent où les gens veulent aller, qu’ils lèvent à leur tour la tête et voient le chemin sur lequel ceux qui ne veulent plus travailler pour rester pauvres ou risquer de le devenir du jour au lendemain se sont engagés quand la société a redémarré.

Après, on devrait être enfin être synchronisés. Le corps social et sa tête devraient être réconciliés.