Arriver au sommet

Quand on se rend subitement compte dans un avion que ni Jules César, ni Louis XIV ou Napoléon n’ont jamais vu le monde d’où on est, ni voyagé aussi vite, ça fait bizarre. On se sent à la fois tout puissant, supérieur à eux, et pas à sa place en même temps. On découvre que ce n’est pas confortable d’être au sommet, qu’il n’y a plus nulle part où aller.

Que vouloir de plus ? Rien. On est le roi du monde. On s’aperçoit que si on bouge, on redescend. Et qu’on sait que monter, mais pas descendre. Qu’on est monté avec la paroi face à nous, mais qu’on se retrouve face au vide, en proie au vertige, quand on se retourne pour redescendre. Alors on n’ose plus bouger. Arriver au sommet, c’est risquer la paralysie.

Voilà l’état dans lequel se trouve la société toute entière à cause de la technologie. Chacun de nous peut faire des choses dont tout le monde a toujours rêvé, mais qu’aucun être humain, fut-il Louis XIV ou Napoléon, n’a pu faire avant nous. Nous sommes collectivement les rois du monde, nous sommes donc confrontés collectivement aux dangers de la descente, à une peur qui nous paralyse.

Aucun mouvement n’est plus possible dans cette situation. Il faut qu’un truc se passe dans le cerveau pour qu’il reparte, qu’il trouve une bonne raison pour ne pas rester là. S’il n’y a que le sommet qui le motive, lui démontrer qu’il ne l’a pas atteint. Qu’il n’est pas sur la bonne montagne, qu’il y en a une autre un peu plus haute qu’il ne peut voir que de là où il est.

Que c’est celle là qu’il doit gravir pour arriver plus haut que tout le monde. Et qu’il n’a pas à redescendre jusque tout en bas sans bien voir où il met les pieds, mais un peu seulement, la dernière partie, celle dont il se souvient le mieux, avant de pouvoir à nouveau faire ce qu’il sait faire le mieux : grimper.

Il suffit de le vexer pour qu’il se remette en marche. Mais il faut lui montrer la montagne, un exemple qui arrive à le convaincre. J’ai trouvé le divorce. C’est un sommet à l’échelle individuelle. On part d’en-bas, du mariage arrangé où on ne choisit pas son partenaire et dont on ne peut pas se défaire, au mariage d’amour où on peut choisir son partenaire, mais sans pour autant pouvoir rompre le lien avec lui si on s’est trompé, pour arriver enfin au sommet, au divorce, où on peut à la fois choisir et rompre le lien, bien que cette descente soit ultra casse gueule.

Mais on a la même montagne à l’échelle collective. On avait un roi qu’on ne choisissait pas, mais auquel on était attaché à vie, on est passé à l’élection d’un président qu’on choisit, mais rien n’est prévu au cas ou on se serait trompé. On n’a pas atteint le sommet de la montagne collective. Pour l’instant, nous n’avons rien d’autre que l’empoisonnement pour nous débarrasser de notre conjoint.

Et voilà une montagne un petit peu plus haute. On a su la gravir à l’échelle individuelle alors que ça nous a pendant longtemps paru impossible, il n’y a pas de raison que nous n’arrivions pas à l’escalader à l’échelle collective, on connaît la technique. Et voilà comment on remet le cerveau en mouvement.

Réconcilier le corps social et sa tête

Il n’y a pas assez de monde pour accueillir les touristes cet été. Le secteur cherche à recruter, mais il n’y arrive pas. Les gens ne veulent plus travailler dans ces conditions. C’est la même chose dans l’éducation où il manque de professeurs, ou encore dans la santé. Depuis le covid et le confinement, plus personne n’accepte ces boulots là, les américains ont même donné un nom au phénomène : « la grande démission ».

Le covid a arrêté la société et quand elle a redémarré, sa configuration a changé. Les gens ont eu le temps de réfléchir, ils n’avaient rien d’autre à faire que de réfléchir. De se regarder comme dans un miroir, ils ont eu le temps de voir à quoi ils ressemblent. C’est ça réfléchir, sortir de l’action pour pouvoir adopter un point de vue extérieur.

Et des millions de gens dans le monde sont arrivés à la même conclusion : on arrête. Et c’est logique. La politique qui vise au plein emploi, à faire travailler tout le monde autant que possible, arrive à son terme. Les gens travaillent presque tous, mais ils sont quand même pauvres. Ça ne sert à rien de bosser comme un âne pour rester pauvre. Plus les gens travaillent, plus il y a de pauvres, c’est absurde. Et quand c’est absurde, on arrête.

Le cerveau humain fonctionne comme ça. Il faut qu’il s’arrête pour trouver du sens. Et il s’arrête quand il n’en trouve pas. Le covid a arrêté le cerveau des gens qui ont été obligés de lui trouver autre chose à faire que de penser uniquement au travail du matin au soir, à trouver un autre sens à leur vie, et ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas le suivre quand ils ont dû retourner au boulot.

Ce qui leur paraissait normal avant l’arrêt du cerveau leur est apparu absurde.

Parce qu’il a trouvé un autre sens et qu’il veut suivre celui là. Abandonner le chemin sur lequel il était auparavant, dont il s’est aperçu qu’il ne menait nulle part quand il a pu arrêter de regarder où il mettait les pieds et lever le nez pour faire le point sur sa position. C’est tout bête, du fonctionnement de base.

Mais le cerveau de nos dirigeants ne s’est pas arrêté, lui, pendant le confinement. Ils étaient au taquet, ils se sont sentis surpuissants, inarrêtables. Le nez dans le guidon, le regard collé à la route, sans aucune idée d’où il allaient. Ils n’ont pas fait le point sur leur position comme tout le monde.

Le blocage des institutions auquel nous assistons un peu partout sert à ça. À obliger nos dirigeants à arrêter leurs cerveaux et à faire le point, comme les gens qu’ils dirigent ont été obligés de le faire. C’est pour qu’ils comprennent où les gens veulent aller, qu’ils lèvent à leur tour la tête et voient le chemin sur lequel ceux qui ne veulent plus travailler pour rester pauvres ou risquer de le devenir du jour au lendemain se sont engagés quand la société a redémarré.

Après, on devrait être enfin être synchronisés. Le corps social et sa tête devraient être réconciliés.

Redémarrer sur une formule simplifiée

Si le cerveau a besoin de se remettre à zéro, de rétablir le calme dans le milieu où les ondes cérébrales se propagent pour qu’elles n’interfèrent pas pour qu’il puisse passer d’une tâche à une autre, alors, le rire et l’orgasme sont des moyens de provoquer l’arrêt du système et sa réinitialisation. Deux choses que les religions n’aiment pas, le rire et le sexe, qu’elles trouvent dangereuses pour la foi, qui empêchent le règne divin de s’établir sut Terre.

Les religions, comme les dictatures craignent la remise à zéro du cerveau. Elles ont peur que le cerveau redémarre sur une logique différente de celle qu’elles imposent. L’intégrisme, l’austérité, ce n’est rien d’autre que d’empêcher le cerveau de se réinitialiser en douceur, de ne le lui laisser que la surcharge qui le fait disjoncter comme solution. Au risque de cramer tous les circuits.

C’est d’une simplicité évangélique. Mais pourquoi arrive l’idée qu’il faut empêcher le cerveau des gens de se réinitialiser ? Ce ne peut être que parce qu’on a constaté que le sien avait lui même redémarré sur une autre logique à un moment. Si le cerveau redémarrait toujours avec la même logique, il n’y aurait pas de raison d’avoir peur qu’il se réinitialise sur une autre. Il faut l’avoir constaté par soi-même pour savoir que c’est possible.

On a donc soi-même redémarré avec un logiciel différent, amélioré, mis à jour, qui permet une économie d’énergie, sur une formule mathématique simplifiée pour arriver au même résultat. Le genre de chose qu’on a envie de transmettre. Quand un enfant découvre qu’il peut faire une chose plus facilement en faisant autrement qu’il ne faisait d’habitude, il le montre à tout le monde. Il cherche à faire partager le plaisir que lui procure l’économie d »énergie, celui d’arriver plus vite et plus facilement au résultat qu’il voulait en se fatiguant moins.

C’est tout le bénéfice de la vie en société. Chaque individu travaille à la simplification de la formule, et quand il en trouve une, il la partage. Et avec les gamins, c’est même chiant, ils partagent les simplifications qu’on connaît, ils ne nous apprennent rien, on a découvert les mêmes à leur âge. Voilà donc ce que les partisans de l’intégrisme et de l’austérité craignent. Que la simplification ait lieu chez tout le monde, que les gens la découvrent par eux-mêmes, comme les enfants. Qu’elle risque de s’installer à chaque réinitialisation.

Et si ils veulent l’empêcher à tout prix, c’est que dans la formule simplifiée, l’énergie économisée est celle dont ils bénéficient. Si cette dépense ne se fait plus grâce à la nouvelle formule, ils ne sont plus alimentés. Ceux qui prônent l’intégrisme et l’austérité, l’obéissance aveugle, ne cherchent qu’à cacher que ce sont eux qui sont éliminés de l’équation quand elle est simplifiée. Mais ça ne fait rien d’autre que de les désigner.