Martyriser son corps pour le faire obéir

Avec l’idée que la relation entre l’état et les citoyens est la même que celle entre mari et femme, mais du temps où la loi interdisait le divorce, ne laissait pas d’autre choix aux femmes qui voulaient un peu de liberté que de hâter la disparition de celui auquel elles étaient attachées, on n’est plus dans l’inconnu.

Et quand on sort de l’inconnu, on n’a plus peur parce qu’on a une solution à proposer. Faire la même chose à l’échelle du collectif que celle qu’on a fait à l’échelle individuelle : inventer une procédure de divorce. On a un modèle, il n’y a qu’à le transposer. On a le plan, tout le boulot est déjà fait, il ne reste plus qu’à passer à la construction.

Il manquait un élément pour qu’elle puisse commencer, mais nous l’avons obtenu grâce aux débats sur l’identité de genre. Il me paraît absurde à l’échelle individuelle, ma nièce qui a 12 ans a qualifié de « sombre période » celle où elle affichait fièrement un drapeau LGBT dans sa chambre après que l’école l’y ait impliquée, mais il pourrait par contre se révéler utile à l’échelle collective.

C’est à cette échelle que la réflexion sur la séparation entre le sexe du corps et celui de la tête qui ne sont pas forcément en adéquation pourrait aboutir à quelque chose. Le corps et la tête sont deux choses différentes. Et le problème des couples hétérosexuels unis pour la vie par le mariage avant que le divorce soit autorisé était que ces deux rôles étaient répartis par sexe. À la femme celui du corps, et à l’homme, celui de la tête.

La femme était réduite à un corps que la tête pouvait martyriser pour qu’il lui obéisse. Ce qui traduit la relation que nous avons avec notre corps dans notre culture, peu importe le sexe. Il faut aller contre, l’obliger à se plier à notre volonté, à se soumettre aux ordres de la tête sans tenir compte de son avis.

Et nous en sommes très fiers. Ceux qui vont contre leur corps en sont très fiers, ils se croient meilleurs que les autres. Notre président se vante de dormir 3 heures par nuit. Il nous dit qu’il a vaincu son corps, qu’il peut l’obliger à faire ce qu’il veut, qu’il n’est plus qu’une tête débarrassée des contraintes de son enveloppe charnelle. Que c’est un homme, un vrai, avec des couilles, qui porte la culotte et qui cogne sur sa femme et ses gosses quand il rentre à la maison bourré le soir pour leur apprendre la vie.

Nous sommes l’élément féminin de ce couple. Nous voulons que cela cesse.

Mieux vaudrait ne pas s’en mêler

Quand on se fait mal au dos, on aggrave le plus souvent les choses au lieu de les améliorer. On cherche une position qui soulage, et résultat, on se fait encore plus mal. Je pense qu’à peu près tout le monde a déjà pu constater ça.

Tout va très bien, on bouge sans problème, d’un coup on ressent une douleur, on se bloque, et ensuite, on n’arrive plus à retrouver la position qu’on avait l’instant d’avant. Et au lieu de nous détendre comme on devrait, on force comme des ânes sur nos muscles qui se mettent à tirer dans tous les sens pour nous éloigner encore plus du résultat qu’on recherche.

Notre corps fonctionne très bien lorsque nous n’y faisons pas attention, que nous laissons le cervelet, son pilote automatique s’en occuper. Mais la douleur nous fait passer en mode manuel. Elle force notre conscience à se focaliser sur les muscles de notre dos dont nous prenons alors le contrôle. Et nous n’arrivons pas à retrouver la bonne combinaison tant un dos est compliqué.

Nous sommes très mauvais quand nous nous chargeons de faire consciemment ce que le corps fait d’habitude tout seul sans que nous n’intervenions. Notre intervention consciente fait empirer la situation au lieu de l’améliorer.

Mieux vaut ne pas s’en mêler, c’est trop compliqué. Cette conclusion me semble logique. Et ne pas concerner que notre corps, mais aussi la société, le corps social en son entier. À trop vouloir prendre son contrôle, on fait plus de mal que de bien.

Je vais prendre un exemple dont je crois avoir déjà parlé. Je vis à côté de Strasbourg qui est située sur la route commerciale qui relie le nord et le sud de l’Europe. Il y avait beaucoup de camions sur l’autoroute qui traverse la ville, beaucoup d’embouteillages, elle était tout le temps saturée. Pour la contourner, il a fallu construire une portion d’autoroute qui a ouvert il y a deux ans, que tous les camions doivent à présent obligatoirement emprunter.

Personnellement, j’aurais regardé comment la circulation s’organise sans camions avant d’essayer d’intervenir consciemment. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Il y a à présent tout un tas de règles délirantes à appliquer pour passer par là.

Un truc très compliqué, qui mobilise une grande partie de notre cerveau pour vérifier qu’on respecte bien tous les ordres qui nous sont donnés. Incompatible avec la conduite d’un véhicule qui demande que notre attention soit tournée vers l’extérieur, vers les autres, sur ce qui se passe autour, sans intervention consciente.

Ça fait plus mal qu’avant. L’idée d’être obligé d’emprunter cet itinéraire est plus douloureuse à présent qu’elle ne l’était quand je risquais d’être coincé dans les embouteillages. Parfois il n’y en avait pas. Par contre, il y a tout le temps ce règlement débile qui veut prendre le contrôle de chacune de mes actions à appliquer.

Avec un corps social tordu comme celui là, rien d’étonnant à ce que les gens se mettent de travers.

Réconcilier le corps social et sa tête

Il n’y a pas assez de monde pour accueillir les touristes cet été. Le secteur cherche à recruter, mais il n’y arrive pas. Les gens ne veulent plus travailler dans ces conditions. C’est la même chose dans l’éducation où il manque de professeurs, ou encore dans la santé. Depuis le covid et le confinement, plus personne n’accepte ces boulots là, les américains ont même donné un nom au phénomène : « la grande démission ».

Le covid a arrêté la société et quand elle a redémarré, sa configuration a changé. Les gens ont eu le temps de réfléchir, ils n’avaient rien d’autre à faire que de réfléchir. De se regarder comme dans un miroir, ils ont eu le temps de voir à quoi ils ressemblent. C’est ça réfléchir, sortir de l’action pour pouvoir adopter un point de vue extérieur.

Et des millions de gens dans le monde sont arrivés à la même conclusion : on arrête. Et c’est logique. La politique qui vise au plein emploi, à faire travailler tout le monde autant que possible, arrive à son terme. Les gens travaillent presque tous, mais ils sont quand même pauvres. Ça ne sert à rien de bosser comme un âne pour rester pauvre. Plus les gens travaillent, plus il y a de pauvres, c’est absurde. Et quand c’est absurde, on arrête.

Le cerveau humain fonctionne comme ça. Il faut qu’il s’arrête pour trouver du sens. Et il s’arrête quand il n’en trouve pas. Le covid a arrêté le cerveau des gens qui ont été obligés de lui trouver autre chose à faire que de penser uniquement au travail du matin au soir, à trouver un autre sens à leur vie, et ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas le suivre quand ils ont dû retourner au boulot.

Ce qui leur paraissait normal avant l’arrêt du cerveau leur est apparu absurde.

Parce qu’il a trouvé un autre sens et qu’il veut suivre celui là. Abandonner le chemin sur lequel il était auparavant, dont il s’est aperçu qu’il ne menait nulle part quand il a pu arrêter de regarder où il mettait les pieds et lever le nez pour faire le point sur sa position. C’est tout bête, du fonctionnement de base.

Mais le cerveau de nos dirigeants ne s’est pas arrêté, lui, pendant le confinement. Ils étaient au taquet, ils se sont sentis surpuissants, inarrêtables. Le nez dans le guidon, le regard collé à la route, sans aucune idée d’où il allaient. Ils n’ont pas fait le point sur leur position comme tout le monde.

Le blocage des institutions auquel nous assistons un peu partout sert à ça. À obliger nos dirigeants à arrêter leurs cerveaux et à faire le point, comme les gens qu’ils dirigent ont été obligés de le faire. C’est pour qu’ils comprennent où les gens veulent aller, qu’ils lèvent à leur tour la tête et voient le chemin sur lequel ceux qui ne veulent plus travailler pour rester pauvres ou risquer de le devenir du jour au lendemain se sont engagés quand la société a redémarré.

Après, on devrait être enfin être synchronisés. Le corps social et sa tête devraient être réconciliés.

Des idées politiques trop musclées font souffrir les articulations du corps social

Si on considère nos idées comme notre corps, celles d’aujourd’hui s’attacheraient uniquement à se muscler, à produire des idées fortes. Mais elles ont le même inconvénient qu’une musculature trop développée, elles font souffrir les articulations.

Il y a quelques années c’était un gros problème en ski. Les skieurs professionnels français avaient trop de muscles. Ils appliquaient une telle tension sur leurs squelettes que les liens entre les deux pétaient. Tendons ou ligaments, je ne sais jamais, ne résistaient pas. Ils finissaient l’un après l’autre à l’hôpital puis passaient des mois en convalescence.

Pareil qu’en politique aujourd’hui. D’un bord à l’autre de l’échiquier politique, que des des idées super balèzes, des montagnes de muscle idéologiques. Qui font péter les liens avec le squelette social quand elles sont appliquées en réalité.

C’est caractéristique de l’approche occidentale du monde. Nous sommes adeptes de la force, contrairement aux orientaux adeptes de la souplesse. Cela se voit particulièrement bien en médecine. Nous envisageons la maladie comme un état bas qui demande beaucoup d’énergie, de muscle pour être ramené à l’état haut, la santé, tandis que les orientaux envisagent la maladie comme un état haut, qui ne nécessite pas beaucoup d’énergie, mais appliquée à un point précis d’une articulation, ce qui permettra à tous le corps de se redresser et de retrouver ainsi l’état de santé, son état bas.

Pour nous, l’état de santé demande un effort pour être atteint, tandis que pour eux, c’est un point vers lequel le corps se dirige naturellement si on lui donne la bonne impulsion au bon endroit, si on fait bouger la bonne articulation dans le bon sens. La Chine de Xi Jinping a l’air de l’avoir parfaitement compris. Elle est trop souple, Xi Jinping a donc fait le choix de la muscler. Face à un tel adversaire, il me semble qu’il n’y a pas d’autre solution pour nous que de nous assouplir si nous ne voulons pas être battus à plate couture.

C’est la situation dans laquelle je me suis retrouvé en seconde, quand moi et mon alter ego, Philippe, avons mesuré nos forces au bras de fer lorsque nous nous sommes rencontrés en seconde au lycée. Je pesai plus de 90kg. J’étais très fort physiquement. Mais étrangement, j’avais déjà le culte de la souplesse, dans l’histoire, c’est moi la Chine. Lui était sportif, beaucoup plus léger que moi. Mais il avait trouvé un truc au bras de fer. Il bloquait son articulation du coude. Il appliquait toute sa force à cet endroit en attendant que l’autre s’épuise à forcer comme un malade pour mettre le coup de grâce. Je me suis avoué vaincu.

Momentanément vaincu. J’ai gambergé, et un jour, je lui ai dit : « Je sais comment te battre ». Il n’a pas voulu me croire, mais on commençait à se connaître, et il s’est dit que peut être je pouvais avoir trouvé comment couler son insubmersible Titanic. Et moi, je ne voulais pas avoir à en faire la démonstration. Ma solution, c’est le problème du skieur musclé à l’envers. Si je ne peux pas étirer les liens de l’articulation, je vais lui péter les muscles. Ne pas forcer en continu, mais donner des à coups violents, et avec 90kg, ils le sont, pour faire péter les fibres musculaires. Imparable sur le papier. En réalité aussi.

Un jour il l’a de nouveau ramené avec sa technique de la mort au bras de fer devant les autres. Je lui ai redit. Je sais comment te battre. Devant les filles, il ne peut pas se dégonfler, s’arrêter au plumage, il a fallu que je lui chante la chanson. Il a compris en 3-4 à coups que je ne bluffais pas. Il a abandonné sans m’obliger à lui faire la démonstration jusqu’au bout à mon grand soulagement. Serrage de main, traitage d’enculé, respect mutuel.

Que ce soit le bras de fer avec la Chine ou le bras de fer social, eux aussi peuvent finir comme ça. Ou alors on peut aller jusqu’à la déchirure qui nous enverra en convalescence pendant des décennies, des siècles. Il suffit que nous nous intéressions un peu plus aux articulations de nos idées qu’à leur force pour l’éviter. La combinaison de la force et de la souplesse, c’est ça la recette de la puissance.

La pratique du yoga bénéficierait à la société toute entière

Si une société a une psychologie comparable à celle d’un individu, elle a donc aussi un corps dont chacun de nous serait une cellule. Pas un type de cellule particulier, une cellule omnipotente capable de remplir toutes les fonctions corporelles, mais pour simplifier, on peut considérer qu’étant donnée la tension du corps social, notre problème est musculaire.

L’objectif est donc de détendre ce corps social pour lui rendre sa souplesse de mouvement. Et pour le détendre, il faut d’abord comprendre pourquoi il se tend. L’explication de cette tension qu’on nous sert actuellement voudrait qu’elle soit due à la maladie mentale, que c’est psychiatrique. La moitié de la population en souffrirait d’après certaines enquêtes dont on ignore tout.

Mon cul que c’est psychiatrique. J’ai fait l’armée, le service militaire. Pendant les classes, le dressage d’un mois à l’arrivée, on nous faisait croire la même chose. Arrête de psychoter. L’aspirant tortionnaire n’avait que ça à la bouche : arrête de psychoter. Il fait tout pour vous rendre dingue et il vous dit arrête de psychoter. Sir, yes, sir, comme on dit dans Full metal jacket. Chez les commandos d’élite, on répond en hurlant « kill ! » à pleins poumons, tout simplement. Voyez le documentaire d’Arte «  il était une fois en Irak » si vous en doutez.

Et comment vous rend on dingue en trois coups de cuiller à pot ? En vous maintenant en permanence sous tension. Tout doit être fait en temps limité, vite, il faut tout faire vite. Sans aucune raison et pour aller faire des choses absurdes qui n’ont aucun caractère urgent. Marcher au pas, nettoyer des flingues, mais surtout attendre. Attendre. Tout le temps attendre. Attendre qu’on vous donne un ordre à exécuter le plus vite possible pour de nouveau attendre.

C’est l’alternance d’ennui absolu et d’urgence tout aussi absolue qui rend fou. C’est incompatible. On ne passe pas de l’un à l’autre en permanence sans psychoter comme l’encadrement voudrait le faire croire. C’est une réaction normale, pas une maladie mentale.

Face au danger, deux réactions sont possibles. L’immobilité, l’inaction, ou la fuite, l’action. C’est l’un ou l’autre. L’ennui est destiné à vous mettre dans l’état de l’inaction, pour subitement vous faire passer sur le mode action immédiate. Le passage de l’un à l’autre est très violent, il fait sursauter, on sent littéralement qu’on se charge en énergie à une vitesse fulgurante. Pour rien. Pour attendre. Vous accumulez une énergie phénoménale en un instant, et vous n’avez rien pour la disperser, sauf peut être la colère contre vos garde chiourme qui se mettent bien à l’abri des saloperies qu’ils font à leurs semblables derrière l’autorité à laquelle ils sont eux aussi soumis, c’étaient des appelés comme nous.

Vous vous retrouvez donc chargé en énergie, et aaaard aou, on ne vous parle même plus, pas bouger, sisit médor. Résultat, on est jamais détendu. En permanence contracté, physiquement tout autant que mentalement. C’est ce que fait le corps pour réagir au danger, il se prépare à fuir, libère de l’énergie qui mettent les muscles en pré-tension au cas où il faudrait agir vite. Quand cette énergie n’est pas libérée par l’action, elle s’accumule dans le système nerveux, elle fait psychoter.

C’est du yoga à l’envers. Au lieu d’être conçue pour détendre le corps, cette méthode le contracte, mais ça n’a rien d’une réaction pathologique, elle est purement mécanique, ce résultat est garanti. Faire croire aux gens qu’ils ont une réaction anormale, pathologique, qu’ils devraient se faire soigner, alors qu’ils se comportent exactement comme ceux qui appliquent cette méthode l’attendent, c’est la définition même de la perversion.

Actuellement, c’est toute la société qui a été mise dans cet état là par les méthodes de management et de communication modernes. Contractée de la tête aux pieds. Hier, je disais que nous devions choisir de quelle façon cette société doit mourir, en douceur, en lui faisant boire la cigüe, ou en lui sortant les tripes à mains nues, par la violence, comme on en a la déplorable habitude. Tout en étant conscient que les société, ça ne meurt pas, ça ne peut as mourir. Mais en revanche, ça peut tomber.

Une civilisation, ça chute. Et si ça chute, vaut mieux pas que son corps soit contracté, c’est comme ça qu’on se blesse et qu’on ne se relève pas. Au judo, c’est la première chose qu’on apprend. Tomber sans se faire mal. Il n’y a pas de raison qu’une société ne puisse pas faire ce qu’un individu est capable de faire, ils se comportent exactement de la même manière.

Et ce n’est pas compliqué de la détendre, de la mettre au yoga. Il n’est pas question de la faire se plier dans tous les sens pour l’instant, elle en est incapable dans l’état où elle est. Il faut d’abord qu’elle commence par se détendre. Et pour cela, il suffit d’arrêter d’employer les méthodes qui produisent l’effet inverse. Résultat garanti.

Pour ceux qui me diraient que Narendra Modi, l’inquiétant premier ministre nationaliste indien a fait du yoga une arme de propagande massive tournée contre sa population musulmane, j’en suis parfaitement conscient. Lui, ce n’est pas par la rigidité qu’il compte briser le corps social comme du verre, mais par la souplesse, en le faisant plier jusqu’à lui rompre l’échine. Culture différente, perversion différente, mais toujours perversion.