Le jeu de la baffe

Il y a quelques jours, j’ai entendu un des experts interchangeables qui ont tous le même avis qu’on voit tout le temps à la télé utiliser le mot « résilient » dans une phrase, et j’ai dit : « Personne ne lui met une baffe ». Mais comme j’étais d’humeur taquine, j’ai ajouté qu’il faudrait lui expliquer que sa torgnole a été provoquée par l’utilisation d’un mot interdit, et qu’il a intérêt à faire gaffe, parce qu’il y en a d’autres. Mais sans lui dire lesquels. Je suis à peu près sûr que la personne trouverait d’elle même.

J’ai appelé ça « le jeu de la baffe ». C’est celui que ma maîtresse de maternelle nous faisait subir quand j’avais trois ans. Il fallait comprendre ce qui déclencherait la punition, la logique qui amenait à la baffe sans avoir les règles. Je n’ai pas trouvé mieux qu’elle. Mais je peux expliquer le but recherché, Faire réfléchir avant de parler, donner une raison de tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir.

Ce n’est rien d’autre que prendre le temps de vérifier sur quoi ce qu’on dit repose, de revenir en arrière, de changer le sens dans lequel on utilise la partie logique de notre cerveau, de le faire passer au signe opposé à celui dans lequel il se trouve lorsqu’on produit du discours. La baffe agit comme un mur infranchissable sur lequel on ne peut que rebondir pour repartir dans l’autre sens.

Elle est là pour amplifier le signal d’arrêt qu’on n’a pas respecté tout seul, pour augmenter la sensibilité à ce signal. C’est ça le but du jeu.

C’est ma seule particularité, mon seuil de détection de ce signal est plus bas, je réagis fort à la moindre stimulation comme si j’y étais allergique. Je tousse avant que les autres ne se rendent compte du risque d’intoxication.

Réconcilier le corps social et sa tête

Il n’y a pas assez de monde pour accueillir les touristes cet été. Le secteur cherche à recruter, mais il n’y arrive pas. Les gens ne veulent plus travailler dans ces conditions. C’est la même chose dans l’éducation où il manque de professeurs, ou encore dans la santé. Depuis le covid et le confinement, plus personne n’accepte ces boulots là, les américains ont même donné un nom au phénomène : « la grande démission ».

Le covid a arrêté la société et quand elle a redémarré, sa configuration a changé. Les gens ont eu le temps de réfléchir, ils n’avaient rien d’autre à faire que de réfléchir. De se regarder comme dans un miroir, ils ont eu le temps de voir à quoi ils ressemblent. C’est ça réfléchir, sortir de l’action pour pouvoir adopter un point de vue extérieur.

Et des millions de gens dans le monde sont arrivés à la même conclusion : on arrête. Et c’est logique. La politique qui vise au plein emploi, à faire travailler tout le monde autant que possible, arrive à son terme. Les gens travaillent presque tous, mais ils sont quand même pauvres. Ça ne sert à rien de bosser comme un âne pour rester pauvre. Plus les gens travaillent, plus il y a de pauvres, c’est absurde. Et quand c’est absurde, on arrête.

Le cerveau humain fonctionne comme ça. Il faut qu’il s’arrête pour trouver du sens. Et il s’arrête quand il n’en trouve pas. Le covid a arrêté le cerveau des gens qui ont été obligés de lui trouver autre chose à faire que de penser uniquement au travail du matin au soir, à trouver un autre sens à leur vie, et ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas le suivre quand ils ont dû retourner au boulot.

Ce qui leur paraissait normal avant l’arrêt du cerveau leur est apparu absurde.

Parce qu’il a trouvé un autre sens et qu’il veut suivre celui là. Abandonner le chemin sur lequel il était auparavant, dont il s’est aperçu qu’il ne menait nulle part quand il a pu arrêter de regarder où il mettait les pieds et lever le nez pour faire le point sur sa position. C’est tout bête, du fonctionnement de base.

Mais le cerveau de nos dirigeants ne s’est pas arrêté, lui, pendant le confinement. Ils étaient au taquet, ils se sont sentis surpuissants, inarrêtables. Le nez dans le guidon, le regard collé à la route, sans aucune idée d’où il allaient. Ils n’ont pas fait le point sur leur position comme tout le monde.

Le blocage des institutions auquel nous assistons un peu partout sert à ça. À obliger nos dirigeants à arrêter leurs cerveaux et à faire le point, comme les gens qu’ils dirigent ont été obligés de le faire. C’est pour qu’ils comprennent où les gens veulent aller, qu’ils lèvent à leur tour la tête et voient le chemin sur lequel ceux qui ne veulent plus travailler pour rester pauvres ou risquer de le devenir du jour au lendemain se sont engagés quand la société a redémarré.

Après, on devrait être enfin être synchronisés. Le corps social et sa tête devraient être réconciliés.