Mon histoire de dissémination de la mémoire dans notre cerveau pour mieux la préserver, comme des morceaux de monuments sont dans les musées du monde entier au lieu de se trouver à leur endroit d’origine, est difficile à saisir. Elle est trop théorique. Mais si l’organisation du monde reflète l’organisation de notre cerveau comme j’en suis à peu près certain, cette théorie doit avoir des manifestations bien concrètes.
Trouver un bon exemple, c’est assez compliqué. Surtout quand on ne sait pas ce qu’on cherche. Et encore plus quand on est très con, comme moi qui me met à courir comme un dératé dès qu’on lui dit de chercher au lieu de commencer par regarder autour de lui. C’est ce que fait un jeune, ce que l’organisation du cerveau d’un jeune lui fait faire. Il cherche à obtenir un résultat par une action, il doit produire un effort, dépenser de l’énergie pour déclencher son mécanisme de récompense. L’action est une addiction du cerveau jeune.
Un vieux sage cherche au contraire à économiser son énergie, à en dépenser le moins possible. Je ne suis donc pas encore si vieux que ça, puisque je suis parti sur les chapeaux de roue, mais pas assez jeune pour ne regarder que devant moi, et m’apercevoir que j’ai beau avoir dit 100 fois qu’être adulte c’est être con, je ne peux pas m’empêcher de dépenser de l’énergie pour fêter chaque idée, comme un chien qui fait le tour du jardin à fond de train parce qu’il est content. C’est con, mais les chiens et les cerveaux jeunes font ça, et c’est pour ça qu’on les aime bien.
Je suis donc revenu à mon point de départ où mon exemple m’attendait. Les monuments. Notre mémoire est construite comme les monuments. On démonte les pierres qui ont servi à construire les anciens pour en bâtir de nouveaux. Avec les pierres qui ont servi aux pyramides, on a érigé des temples à colonne. Et on a démonté les colonnes pour bâtir les cathédrales. La mémoire suit les mêmes transformations architecturales.
Quand je dis que je suis parti à fond de train pour chercher l’exemple que j’avais sous les yeux, il a quand même fallu que j’aille jusqu’au Père Noël pour que j’ai l’idée de me retourner. Je me suis dit que je cherchais le Père Noël. Comme un enfant. Et le Père Noël, c’est une construction intellectuelle à laquelle tous les enfants croient. L’architecture de leur cerveau fait que pour eux, elle tient debout.
On sait tous que cette construction va finir par s’écrouler, que le Père Noël n’existe pas et que les enfants vont finir par la découvrir. Mais on les laisse croire, on fait même en sorte qu’ils y croient le plus longtemps possible, à priori, ça n’a pas de sens. Mais ça en prend un si on dit qu’on les encourage à construire une pyramide, le type d’architecture à leur portée, celle qui correspond au stade de développement de leur cerveau.
La mémoire des enfants se constitue comme une pyramide, c’est un gros tas de pierres. Posées n’importe comment à l’intérieur pour soutenir les blocs bien taillés qu’on voit de l’extérieur. Les pyramides tout le monde connaît, mais les ziggourat décrivent encore mieux le processus de formation de la mémoire des jeunes enfants.
Les premières formes d’architecture, les premiers bâtiments n’étaient pas encore en pierre, mais en roseaux et en terre. Leur durée de vie n’était pas très longue, 5 à 7 ans selon l’archéologue que j’ai entendu en parler. L’emplacement où le lieu de réunion était construit devait revêtir un caractère sacré. Le plus simple quand son état de délabrement exigeait de le remettre à neuf était donc de détruire l’ancienne construction faite de roseaux enduits de terre, mais de laisser sur place les matériaux et de construire dessus.
Et tous les 5 à 7 ans, on recommençait. Comme un enfant qui oublie tout très vite. Sa mémoire s’effondre et il construit dessus. Les couches s’accumulent, elles forment une bosse qui devient une véritable colline. Un repère dans la plaine mésopotamienne, un monument érigé par l’espèce humaine, la première forme d’architecture monumentale. La tour de Babel de la bible était construite comme ça. C’était un temple perché sur les ruines des temples qui l’avaient précédé.
Et si ce tas énorme ne s’écroulait pas comme comme il aurait dû le faire, ce n’était pas par miracle comme ils devaient le penser à l’époque, mais grâce à la succession de couches de roseaux et de terre qui permettent aux couches de glisser l’une sur l’autre si la terre tremble et empêche l’érosion du vent et de la pluie. C’est véritablement une prouesse du génie humain, la première manifestation d’architecture.
Comme le Père Noël est la première manifestation de l’architecture du cerveau d’un enfant. Le Père Noël est le temple au sommet de la colline qu’est la mémoire d’un enfant. Elle résiste aux éléments pendant des millénaires, leur destruction ne peut être que volontaire, comme pour Daech avec les ziggourat en Irak.
Passer à l’âge adulte, c’est changer de style d’architecture, de passer au suivant, au temples grecs à colonne comme le Parthénon qui se situe au sommet d’une colline pour rappeler la pyramide, la ziggourat d’origine. Et il devient un vieux sage quand il pose des arches au sommet qui transforment le temple en cathédrale.
Une arche entre l’architecture, la mémoire et le Père Noël, par exemple. Je ne sais pas si ça tient debout, mais au moins c’est amusant.