La boîte à outils

La science a besoin d’instruments pour avancer. Et comme le fonctionnement du cerveau reste encore un grand mystère pour elle, il lui en faudrait un pour l’étudier. Vous pensez certainement à un équipement de pointe hyper sophistiqué doté de toutes les technologies possibles et imaginables à cause de la complexité de l’objet à étudier, mais moi, je pense plutôt à un bâtiment.

Une construction dans laquelle nous pourrions entrer. Ou nous serions obligés de nous déplacer physiquement comme les informations dans notre cerveau pour aller d’un point A à un point B. En nous mettant à la place des informations, nous comprendrions mieux comment les diriger.

Et tout le monde y aurait accès. Je passe pour un dingue quand je dis que mon travail consiste à essayer de comprendre le fonctionnement du cerveau, tout seul avec mes petits neurones musclés. L’objectif paraît non seulement impossible à atteindre, mais je n’ai de plus pas accès aux instruments qui permettent de l’observer.

Je bricole. Je n’ai pas les outils qui me permettent de remplir la tâche que je me suis assigné. Donc, quand je me retrouve devant un problème, je ne peux pas simplement aller chercher l’instrument dont j’ai besoin pour le résoudre dans ma boîte à outils, mais j’imagine la forme que l’outil devrait prendre pour s’adapter à celle du problème.

Et pour le cerveau, la forme que j’obtiens n’a pas tant celle d’un scanner, d’un IRM ou d’une intelligence artificielle que d’un bête bâtiment facile à construire.

Voilà l’avantage que j’ai. Avoir été obligé d’imaginer la forme de l’outil dont j’aurais besoin au lieu d’avoir accès à ceux qui existent. Si j’avais eu accès à tous les instruments dont nous disposons grâce à la technologie, je les aurais utilisé.

Jamais je ne serais revenu à bricoler un instrument construit avec les trois bouts de ficelle que j’avais sous la main. J’aurais pensé que la solution ne pourrait venir que de plus de technologie, pas de moins.

Un instrument utile

Après s’être appuyée sur des constructions conçues pour comprendre le fonctionnement de l’univers, comme Stonehenge ou les pyramides, la civilisation devrait peut être reprendre ce protocole au départ, mais en s’attachant à représenter les mouvements des informations dans le cerveau au lieu de ceux des astres dans le ciel.

Dans un tel édifice, nous nous retrouverions à la place de l’information, et nous comprendrions sûrement mieux comment elle circule dans nos têtes. Voilà l’argument qui devrait pouvoir vous convaincre qu’un tel instrument nous serait fort utile.

Et tout cas, il m’a convaincu moi. Il est logique, donc impératif. Si c’est un instrument dont j’ai besoin, je n’ai qu’à le construire. Et pour le construire, la première chose qu’il faut, c’est un plan. Par bonheur, je n’en avais pas. Je pouvais échapper à l’impératif en me disant que je ne suis pas architecte, que je n’ai pas les compétences.

J’ai esquivé le coup, mais mon cerveau m’en a sorti un en retour. Un plan simple. Pour qu’un bâtiment nous mette à la place des informations, il faut y entrer comme elles. Et comme nous avons 5 sens, il devrait y avoir 5 moyens d’y pénétrer. Impossible ensuite d’échapper à l’impératif avec cette base.

La construction a acquis un aspect extérieur, une façade. Le seul moyen pour esquiver qui me restait était de ne pas y entrer. Le cerveau est un labyrinthe. On n’y entre pas, à moins de savoir comment en sortir.

Je pensais en rester là, mais il y a le toucher. Le sens que j’ai choisi comme référence, celui que je trouve le plus fiable, qui est différent des 4 autres dont les entrées sont localisées dans le crâne, alors que les informations du toucher entrent par toute la surface de notre peau. Et comme une porte est une porte, qu’on peut la franchir dans un sens ou dans l’autre, il y a des sorties partout.

Mais encore faut-il les trouver une fois qu’on est à l’intérieur. Je pouvais encore m’empêcher de franchir le seuil en me disant que j’ignore tout de l’organisation interne de la chose, de la disposition des pièces, que je risquais de me perdre, d’être pris au piège.

Ce qui n’a toutefois pas empêché mon cerveau d’ouvrir les portes sans enfreindre la règle. Et d’obtenir de nouvelles informations par écholocation. De constater que je n’avais pas le même retour avec celles du toucher. Que le son me revenait en écho derrière celles des 4 sens crâniens, suggérant qu’il est réfléchi par une surface plane, alors qu’il se perd derrière celles du toucher, suggérant qu’il poursuit son chemin sans rencontrer d’obstacle jusque dans les profondeurs.

Le chemin qu’emprunte le toucher traverse tout le bâtiment. Il suffit de sonder les murs pour le trouver. Quand ça sonne creux, on perce un trou et on se fait la belle. On sait ce qu’il faut chercher si on est perdu, plus aucune excuse pour ne pas s’aventurer dans l’édifice.

C’est alors que sa construction physique devient indispensable. Ce n’est qu’à l’intérieur qu’on se rend compte du volume des pièces, que la notion de troisième dimension intervient. Le plan en deux dimensions ne suffit plus pour qu’on puisse se rendre compte de l’effet produit. Je n’arrive pas à vous décrire l’intérieur.

Il a suffi que je rajoute des escaliers pour que je me perde. La conception de l’intérieur est simple. Les pièces dans lesquelles les informations entrent peuvent avancer vers l’intérieur en passant par plusieurs portes. Au moins deux, ça simplifie. En deux dimensions, ça fait droite ou gauche. On obtient un labyrinthe classique qu’on peut représenter par au-dessus.

Mais en trois dimensions, cette représentation devient impossible. Vu par au-dessus, les étages se superposent. Il faut avoir le plan de chaque étage. Mais dans cet édifice qui doit représenter un cerveau, donc un labyrinthe la notion d’étage ne peut être que floue pour qu’on s’y perde.

Les escaliers que j’ai trouvé derrière les sorties des pièces ont tous des directions et des longueurs différents. Ils ne mènent pas simplement à l’étage supérieur ou inférieur, ils sont faits pour désorienter. Comme le labyrinthe en trois dimensions qu’Umberto Eco a inventé pour la bibliothèque du Nom de la Rose.

D’où l’utilité de savoir qu’il y a des chemins d’accès directs entre l’intérieur et l’extérieur auxquels ont peut se fier les yeux fermés. Au lieu de ne pas pouvoir s’en échapper, le risque est alors de ne plus vouloir en sortir. Je vais donc m’aérer.

Les étoiles au-dessus de nos têtes sont les mêmes que celles qu’observaient les égyptiens, le cerveau que nous avons dedans aussi

Les pyramides d’Égypte nous fascinent encore aujourd’hui, on a du mal à croire que des gens ont pu les construire il y a 3 500 ans. Nous ne nous sentons plus capable de reproduire un tel exploit, ça nous paraît impossible. C’est pour ça qu’il faudrait essayer d’en reconstruire.

Pas des pyramides, mais des édifices conçus comme les pyramides, comme des incarnations de ce que le savoir peut faire. À l’époque, on l’obtenait grâce à l’observation des étoiles. Ce sont des bâtiments en relation avec elles, qui démontrent qu’on peut savoir où elles vont se trouver à quel moment. Ce sont des plans, des représentations de l’Univers.

C’est ce lien avec l’Univers qui les rend fascinantes, qui leur donne leur force d’attraction. Un bâtiment équivalent aux pyramides devrait donc reproduire un lien aussi puissant que celui là. Mais avec autre chose que les étoiles, représenter autre chose que le fonctionnement de l’Univers.

Je ne vois pas de meilleur candidat que le cerveau. Les étoiles au-dessus de nos têtes sont les mêmes que celles qu’observaient les égyptiens, le cerveau que nous avons dedans aussi. Une construction qui reproduirait le fonctionnement du cerveau aurait la même durée de vie. Elle captiverait n’importe qui, à n’importe quelle époque.

Le projet paraît démentiel, à moi en premier. Il faut être dingue pour penser arriver à marquer l’histoire de l’humanité comme les Égyptiens. Mais il n’y a rien de dingue au raisonnement, il est parfaitement logique. Et la logique n’en a rien à secouer de marquer l’histoire de l’humanité, quand on lui donne un raisonnement, elle le suit.

Je n’ai pas pu l’en empêcher. Pour moi, c’est trop ambitieux, je ne m’imagine pas arriver à la cheville des architectes des pyramides. Je ne voulais pas y penser quand j’ai eu l’idée. J’étais trop conscient que je n’avais aucun plan pour mon bâtiment/cerveau. Et je ne pensais pas être capable d’en trouver un.

Mais la logique, ne part pas de la fin. Elle revient au début. Quand on lui dit bâtiment, elle y entre. Et elle y entre par une porte. Et tout le plan surgit de lui même. Parce qu’on entre aussi dans le cerveau par des portes. Nos 5 sens. Les informations entrent dans nos cerveaux uniquement par nos sens. 5 sens, 5 portes.

Mais nous n’accordons pas la même importance à chacune de nos sens. Nous nous focalisons plus sur certains que d’autres. Donc 5 portes, mais de tailles différentes. Sans dire à quel sens elles correspondent, ça peut varier.

D’un coup le projet prend forme. Il existe. On le prend plus au sérieux. On a un pentagone, une porte pour chaque sens, mais il y a le toucher. Il n’est pas localisé comme les autres, il est partout. L’incarner par une porte à un endroit donné n’est donc pas judicieux.

On en supprime une qu’on remplace par plusieurs, sur tout le tour du bâtiment. Des petites, à taille humaine, moins spectaculaires que les 4 autres qu’il faut alors faire monumentales. Rien qu’avec ça, on comprend déjà quelque chose, on sent qu’on commence à établir un lien qui nous dépasse, qu’un tel bâtiment conférerait au toucher un truc spécial, différent des 4 autres modes d’entrée dans l’édifice.

On aurait envie d’y entrer pour savoir quoi. J’espère que vous aussi maintenant. Alors, construisons ça.

Une pyramide en construction

Quand les égyptiens ne pouvaient pas travailler dans les champs à cause des crues du Nil qui les inondaient, ils construisaient les pyramides. S’il n’y a plus de travail à cause de l’intelligence artificielle, nous n’avons qu’à faire la même chose qu’eux. Même problème, même solution.

Mais nous n’allons évidemment pas reconstruire des pyramides. Quand j’en ai parlé hier, je n’ai pas dit par quoi nous pourrions les remplacer. Et pour cause, je n’en avais strictement aucune idée. J’ai ouvert ma grande gueule sans savoir où j’allais, mais j’ai choisi de na pas m’en occuper. J’ai laissé mon cerveau qui m’avait donné satisfaction se reposer au lieu de le forcer à se remettre au travail comme je l’ai annoncé à la fin de l’article.

J’ai déjà dit que je compare une partie de mon cerveau à un chien, pas forcément commode, que j’ai appelé Curtis le Pitbull. Elle a eu le même comportement lorsque je l’ai congédiée. Elle s’est assise à mes pieds en attendant que je lui donne l’ordre de chercher.

C’est ma faute, j’ai écrit que j’allais laisser mon cerveau, donc Curtis, se reposer. J’ai beaucoup hésité avec le laisser aller jouer. Parce que Curtis, c’est un chien plein d’énergie. Il a besoin de se dépenser, il a mal pris que je lui dise d’aller au panier. Il a cru que je le punissais, ce con.

Il a grogné. J’ai dû lui expliquer que je ne m’adressais pas à lui, mais à vous. Que l’injonction au repos ne concernait pas la partie de mon cerveau que j’appelle Curtis, mais une autre, celle qui décide d’où nous portons notre attention, de ce dont nous sommes conscient. C’est à cette partie là que j’ai accordé le repos, que j’ai obligé à arrêter de surveiller en permanence ce que Curtis faisait.

Je savais très bien ce qu’il faisait. C’est un chien. Un chien qui me suppliait d’avoir mon attention, que je lui donne l’ordre d’aller chercher son jouet. J’ai refusé de donner l’ordre pour ne pas avoir à le diriger, je l’ai laissé libre de faire ce qu’il voulait. Et à chaque fois que je lui jetais un coup d’œil pour vérifier qu’il ne faisait pas une connerie, je voyais bien à quoi il s’occupait. À chercher en galopant dans tous les sens par quoi on pourrait remplacer les pyramides.

Ça l’a bien occupé, il ne m’a pas fait chier de la journée. Je l’ai retrouvé vanné, la langue pendante, n’attendant plus que l’autorisation d’aller se coucher. C’était mon seul but, le faire tomber d’épuisement. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me rapporte la solution.

Les pyramides égyptiennes reproduisent l’architecture de l’Univers, les édifices que nous devons construire devra reproduire celle du cerveau. À partir de là, ça devient simple. Trop pour Curtis que ça ne fatiguera pas assez. Je lui demanderai de vous expliquer demain, il m’a suffisamment fait plaisir pour aujourd’hui, je vais lui rendre sa liberté.

Pour résoudre un problème, trouver sa source

La semaine dernière, les médias ont beaucoup parlé d’un sondage à propos des jeunes et de la science. Ils en ont avant tout retenu que 19% des sondés ont répondu que les pyramides d’Égypte ont été construites par les extra-terrestres.

Une catastrophe pour les commentateurs que j’ai entendu, comme Patrick Cohen ou Pascal Blanchard qui se sont alarmés du niveau intellectuel de la jeunesse. Pascal Blanchard est allé jusqu’à dire que ceux qui ont répondu ça devraient consulter.

Qu’il sont donc fous, différents de lui, qu’il ne se reconnaît pas en eux. Le principe de séparation entre les humains qui a permis aux crimes du colonialisme d’avoir lieu, sujet de prédilection de l’historien qu’est Pascal Blanchard. Et il ne s’en est pas aperçu. J’ai eu envie de lui coller une baffe. Non pas pour le punir par la douleur, mais pour qu’il se réveille. De le bousculer pour qu’il sorte de sa logique, qu’il remette son cerveau à zéro pour qu’il réalise la connerie qu’il fait.

Samedi soir, j’ai donc demandé qui avait construit les pyramides à ma nièce qui à 12ans. Elle m’a répondu : les égyptiens. Je lui ai ensuite demandé si elle s’était déjà posé la question, elle m’a dit non, si elle en avait quelque chose à foutre, également non, et si elle aurait pu répondre les extra-terrestres si je le lui avais proposé. Là : oui.

J’aurais fait pareil. À une question débile, j’aurais donné une réponse débile. Quand on me prend pour un con, je joue au con. Je renvoie en miroir la connerie de la question à celui qui me la pose. Socrate aurait fait la même chose. C’est la réponse la plus intelligente, celle qui renvoie à l’absurdité de la question.

C’est absurde de demander aux gens de répondre à des questions auxquelles ils n’ont pas réfléchi. Et tires des conclusions définitives sur les gens à partir de ces réponses encore plus. C’est même criminel de tirer des conclusions à partir de données aussi merdiques, sujettes à manipulation, qu’un sondage. Il faut vraiment être le dernier des crétins pour exploiter une source d’informations aussi pourrie, aussi dangereuse pour la santé qu’une flaque d’eau croupie.

On ne mange pas de ce pain là quand on est intelligent, on ne s’abreuve pas des ces informations quand on a un cerveau en état de fonctionner correctement. Elles sont toxiques.On crève si on laisse pénétrer ces informations dans notre système de pensée. Ce sont elles qu’il faut combattre pour vaincre la maladie, pas ceux qui en sont porteurs.

Qui a commandé ce sondage ? Dans quel but ? Voilà les questions qu’il faut se poser si on veut apprendre quelque chose d’utile à la compréhension du fonctionnement de la société. La réponse à la seconde est évidente : pour diviser les gens en deux camps dont chacun pense qu’il ne peut pas s’entendre avec l’autre, qu’ils n’ont rien en commun, pour désigner un ennemi. Un prélude classique à la guerre, au génocide.

Je suis vieux, mais les jeunes ne sont pas mes ennemis, je n’ai aucune envie de me battre contre eux. Je les comprends, j’aurais donné la même réponse qu’eux. Je me reconnais en eux, on est fait pareil ma nièce et moi.

Ceux en qui je ne me reconnais pas, ce sont les gens qui cherchent à nous diviser elle et moi. Ce sont eux les ennemis, ceux qui mettent la société en danger. Ni Pascal Blanchard, ni Patrick Cohen, mais ceux et celles qui décident de leur donner la parole dans les médias, leurs propriétaires. Ce sont eux la source du problème.

La mémoire se construit comme un monument

Mon histoire de dissémination de la mémoire dans notre cerveau pour mieux la préserver, comme des morceaux de monuments sont dans les musées du monde entier au lieu de se trouver à leur endroit d’origine, est difficile à saisir. Elle est trop théorique. Mais si l’organisation du monde reflète l’organisation de notre cerveau comme j’en suis à peu près certain, cette théorie doit avoir des manifestations bien concrètes.

Trouver un bon exemple, c’est assez compliqué. Surtout quand on ne sait pas ce qu’on cherche. Et encore plus quand on est très con, comme moi qui me met à courir comme un dératé dès qu’on lui dit de chercher au lieu de commencer par regarder autour de lui. C’est ce que fait un jeune, ce que l’organisation du cerveau d’un jeune lui fait faire. Il cherche à obtenir un résultat par une action, il doit produire un effort, dépenser de l’énergie pour déclencher son mécanisme de récompense. L’action est une addiction du cerveau jeune.

Un vieux sage cherche au contraire à économiser son énergie, à en dépenser le moins possible. Je ne suis donc pas encore si vieux que ça, puisque je suis parti sur les chapeaux de roue, mais pas assez jeune pour ne regarder que devant moi, et m’apercevoir que j’ai beau avoir dit 100 fois qu’être adulte c’est être con, je ne peux pas m’empêcher de dépenser de l’énergie pour fêter chaque idée, comme un chien qui fait le tour du jardin à fond de train parce qu’il est content. C’est con, mais les chiens et les cerveaux jeunes font ça, et c’est pour ça qu’on les aime bien.

Je suis donc revenu à mon point de départ où mon exemple m’attendait. Les monuments. Notre mémoire est construite comme les monuments. On démonte les pierres qui ont servi à construire les anciens pour en bâtir de nouveaux. Avec les pierres qui ont servi aux pyramides, on a érigé des temples à colonne. Et on a démonté les colonnes pour bâtir les cathédrales. La mémoire suit les mêmes transformations architecturales.

Quand je dis que je suis parti à fond de train pour chercher l’exemple que j’avais sous les yeux, il a quand même fallu que j’aille jusqu’au Père Noël pour que j’ai l’idée de me retourner. Je me suis dit que je cherchais le Père Noël. Comme un enfant. Et le Père Noël, c’est une construction intellectuelle à laquelle tous les enfants croient. L’architecture de leur cerveau fait que pour eux, elle tient debout.

On sait tous que cette construction va finir par s’écrouler, que le Père Noël n’existe pas et que les enfants vont finir par la découvrir. Mais on les laisse croire, on fait même en sorte qu’ils y croient le plus longtemps possible, à priori, ça n’a pas de sens. Mais ça en prend un si on dit qu’on les encourage à construire une pyramide, le type d’architecture à leur portée, celle qui correspond au stade de développement de leur cerveau.

La mémoire des enfants se constitue comme une pyramide, c’est un gros tas de pierres. Posées n’importe comment à l’intérieur pour soutenir les blocs bien taillés qu’on voit de l’extérieur. Les pyramides tout le monde connaît, mais les ziggourat décrivent encore mieux le processus de formation de la mémoire des jeunes enfants.

Les premières formes d’architecture, les premiers bâtiments n’étaient pas encore en pierre, mais en roseaux et en terre. Leur durée de vie n’était pas très longue, 5 à 7 ans selon l’archéologue que j’ai entendu en parler. L’emplacement où le lieu de réunion était construit devait revêtir un caractère sacré. Le plus simple quand son état de délabrement exigeait de le remettre à neuf était donc de détruire l’ancienne construction faite de roseaux enduits de terre, mais de laisser sur place les matériaux et de construire dessus.

Et tous les 5 à 7 ans, on recommençait. Comme un enfant qui oublie tout très vite. Sa mémoire s’effondre et il construit dessus. Les couches s’accumulent, elles forment une bosse qui devient une véritable colline. Un repère dans la plaine mésopotamienne, un monument érigé par l’espèce humaine, la première forme d’architecture monumentale. La tour de Babel de la bible était construite comme ça. C’était un temple perché sur les ruines des temples qui l’avaient précédé.

Et si ce tas énorme ne s’écroulait pas comme comme il aurait dû le faire, ce n’était pas par miracle comme ils devaient le penser à l’époque, mais grâce à la succession de couches de roseaux et de terre qui permettent aux couches de glisser l’une sur l’autre si la terre tremble et empêche l’érosion du vent et de la pluie. C’est véritablement une prouesse du génie humain, la première manifestation d’architecture.

Comme le Père Noël est la première manifestation de l’architecture du cerveau d’un enfant. Le Père Noël est le temple au sommet de la colline qu’est la mémoire d’un enfant. Elle résiste aux éléments pendant des millénaires, leur destruction ne peut être que volontaire, comme pour Daech avec les ziggourat en Irak.

Passer à l’âge adulte, c’est changer de style d’architecture, de passer au suivant, au temples grecs à colonne comme le Parthénon qui se situe au sommet d’une colline pour rappeler la pyramide, la ziggourat d’origine. Et il devient un vieux sage quand il pose des arches au sommet qui transforment le temple en cathédrale.

Une arche entre l’architecture, la mémoire et le Père Noël, par exemple. Je ne sais pas si ça tient debout, mais au moins c’est amusant.