Quand on n’affiche rien, on passe pour un animal

Depuis toujours, les gens me parlent. Je ne sais pas pourquoi, mais ils se confient à moi, ils me racontent leur histoire. Je ne fais pourtant rien pour. Voilà donc la clef du mystère. Ils me parlent parce que je ne fais rien, je ne dis pas grand chose, j’observe, j’écoute.

Je mets mon cerveau dans l’état où se trouve celui des mantes religieuses à l’affût, quand leurs yeux sont tout noirs, que la tache claire qui apparaît dedans lorsqu’ils ont repéré une proie n’est pas présente. Pendant longtemps, j’ai dit que j’ai l’impression de me comporter comme un écran sur lequel je laisse les autres se projeter.

Et c’est bien ça. Je n’affiche rien, mon cerveau est tout noir, comme les yeux de la mante lorsqu’il n’y a pas de proie dans son champ de vision. Il n’y a pas la tache claire. Ou plutôt, elle n’est pas stable. Elle apparaît pour disparaître aussi vite qu’elle est apparue et réapparaître à un autre endroit avant de disparaître à nouveau, on n’a pas le temps de la saisir, de déterminer précisément sa forme.

La personne qui me parle y voit la sienne. Elle se reconnaît dans la forme des taches claires qui apparaissent fugitivement dans mon cerveau. Elle se dit que je suis comme elle. Mais aussi que je suis simplet, que je dois être bête.

C’est une autre conséquence de l’écran noir. Je passe pour un débile, pour bête, pour animal. Parce que la tache claire est ce qui différencie l’humain de l’animal. Les humains affichent une tache claire dans leur cerveau, une tache stable qui ne disparaît pas. Les animaux pas.

En n’affichant rien, que des images fugitives, instables, je donne l’impression que je ne sais stabiliser la tache claire dans mon cerveau comme eux. Que je suis plus proche de l’animal qu’eux, que je suis bête.

Et conséquence ultime : quand les gens s’aperçoivent que je sais très bien stabiliser la tache claire dans mon cerveau quand je veux, je leur fait peur. J’apparais d’un coup. Comme la mante apparaît d’un coup à sa proie. Trop tard. Lorsqu’elle est à portée, qu’elle ne peut plus rien faire pour échapper à l’attaque. Donc, ils s’enfuient.

Auteur : Thierry Milliere

Rêveur passionné de science qui s'acharne à croire que l'espèce humaine n'est ni pire ni meilleure qu'une autre.

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