Au lieu qu’on m’explique ce que j’ai fait, j’ai été puni. Depuis, je me demande de quoi je suis coupable. Ça fait plus de 40 ans. J’étais à l’école primaire, je devais avoir 7 ou 8 ans, et j’ai sauté en prenant mon appel sur un pied au premier saut, sur l’autre au deuxième. Et je me suis retrouvé tout seul au milieu, ni dans le groupe des droitiers, ni dans celui des gauchers, exclu de l’humanité.
J’ai laissé mon corps faire. Voilà le crime que j’ai commis. Je ne l’ai pas contrôlé, ma jambe est partie toute seule, je ne l’ai pas décidé. Même moi j’en ai été surpris, ça m’a fait un peu peur. À la maîtresse aussi. Au lieu de me rassurer comme un enfant l’attend d’un adulte, elle m’a renvoyé ma peur en miroir. Elle l’a amplifiée au lieu de la neutraliser.
Elle a eu peur de l’inconnu. Elle n’avait pas prévu le coup. Pour elle, il n’y avait que deux options bien distinctes, l’une excluant l’autre. Seulement deux cases disponibles, pas trois. Je suis apparu dans le vide au milieu des deux cases.
Je suis le grain de sable qui empêche le cerveau de fonctionner comme ça, en noir et blanc. La preuve vivante qu’il y a des gens qui ne rentrent pas dans une case ou dans l’autre, mais dans les deux à la fois.