César s’en va-t-en guerre

Une fois arrivé au pouvoir avec l’aide de Crassus et Pompée en 59 av JC, Jules César ne tarde pas à montrer son vrai visage. Fort du soutien de ses puissants amis, il gouverne sans se soucier de l’avis du Sénat et use de démagogie pour s’attirer les faveurs du peuple. Plutarque écrit: « A peine entré dans l’exercice de sa charge, il publia des lois dignes, non d’un consul, mais du tribun le plus audacieux. »(Plutarque -Vie des hommes illustres/Caïus Julius Cesar). Il approuve la nouvelle organisation des provinces asiatiques décidée par Pompée malgré l’opposition de Lucullus et fait distribuer aux vétérans des terre prises sur l’ager publicus autour de Capoue qui devient une colonie. Il obtient aussi le soutien des chevaliers en baissant d’un tiers le coût de la location de terres à l’état et s’occupe de satisfaire les revendications des populares en reprenant la distribution de blé aux citoyens les plus pauvres ainsi qu’en achetant des terres qu’il fait distribuer à 20 000 d’entre eux. Et lorsque le Sénat proteste contre ces réformes populistes, il se rend sur le forum flanqué de Crassus et Pompée auxquels il demande s’ils approuvent ses lois. Ils acquiescent, puis César obtient leur promesse de le défendre contre ceux qui le menacent de résister l’épée à la main. Caton le jeune, fervent défenseur de la République, et Bibulus, l’autre consul, sont chassés du forum et ne peuvent dès lors plus s’opposer à la politique de César, d’autant plus que les comptes rendus des séances du Sénat sont dorénavant publiés pour être soumis au jugement du peuple. Bibulus se retire chez lui pour le reste de son mandat et laisse César gouverner seul. Peu de sénateurs osent encore se présenter au Sénat de peur d’y perdre la vie, mais Caton continue à protester et finit par être conduit en prison, sans protestation. Cette attitude pleine de dignité force l’admiration du peuple qui le suit en silence sur le chemin de la geôle, ce qui oblige César à se raviser en faisant intervenir un tribun pour le libérer.

La mainmise de César sur le pouvoir passe aussi par ses relations privées. Il aurait eu pour maîtresse Servilia, la demi-sœur de Caton, mais encore les épouses de Crassus et de Pompée avant qu’il ne lui donne sa fille Julia en mariage. De son côté, il épouse Calpurnia, fille de Lucius Calpurnius Pison et le fait élire consul pour l’année suivante de manière à se prémunir des procès qui risqueraient de lui être intentés. Il accède aussi au désir de Clodius Pulcher, pourtant soupçonné d’avoir été l’amant de la première femme de César, Pompéia, répudiée pour cette raison, en lui permettant de passer du statut de patricien à celui de plébéien et de se faire ainsi élire tribun de la plèbe. Cela permet à César de s’assurer des protections nécessaires à la suite de la carrière qu’il envisage. Il a en effet besoin de se couvrir à son tour de la gloire des victoires militaires et de la conquête de nouveaux territoires pour égaler Pompée; mais aussi de la fortune qu’il en retirerait pour éponger les dettes contractées auprès de Crassus. Il achète donc le tribun de la plèbe Publius Vatinius pour qu’il organise un plébiscite qui confierait à César le proconsulat pour deux provinces, l’Illyrie et la Gaule cisalpine, au lieu d’une et non pas pour une seule année comme le veut la loi, mais pour 5 ans. Il obtient ainsi le commandement de trois légions avec l’assentiment du peuple. Le Sénat lui accorde en plus le proconsulat en Gaule transalpine et une légion supplémentaire pour ne pas perdre complètement la face. Il dispose à présent d’une armée suffisamment puissante pour qu’il puisse se lancer à la conquête de la Gaule chevelue. Il se retire donc dans ses provinces dès la fin de son mandat de consul. Cependant, le préteur Lucius Domitius Ahenobarbus et le tribun de la plèbe Antistius tentent malgré tout de le poursuivre en justice pour les actes illégaux commis lors de son consulat. Mais il y échappe en vertu de la loi Memmia qui stipule qu’un citoyen Romain ne peut être poursuivi alors qu’il est absent de Rome pour le service de la République, ils devront attendre son retour. Il prendra par conséquent bien soin de ne pas mettre les pieds hors des provinces qui lui ont été attribuées avant de pouvoir s’assurer de l’impunité, ce qui ne l’empêchera pas de recevoir régulièrement dans ses terres les gens qu’il utilise pour s’occuper de ses intérêts à Rome.

Son intention première était certainement de stopper l’avancée de Burebista, un Dace qui avait lancé ses troupes hors de leur Roumanie natale vers les plaines hongroises, un peu trop près des frontières de l’Illyrie au goût des Romains qui avaient été défaits par ses armées en 71 av JC au cours de la troisième guerre de Mithridate. Mais en 58 av JC, craignant l’intervention des 3 légions stationnées à Aquilée, Burebista rentre sagement en Transylvanie. Le Sénat n’a plus de motif pour lui déclarer la guerre et César peut être soulagé de ne pas avoir à le poursuivre dans ses montagnes d’où il serait difficile à déloger.

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Carte des tribus voisines de Rome

Les velléités guerrières du proconsul ne seront pas pour autant frustrées car une campagne en apparence plus facile à mener s’annonce. En effet, à la même période, les Suèves sèment le trouble parmi les tribus gauloises depuis leur établissement dans la vallée du Rhin. Dans un premier temps, aux alentours de 62-61 av JC, les Suèves ont été appelés à l’aide par les Séquanes alors en guerre contre les Eduens. Mais en contrepartie de leur intervention, les Suèves ont purement et simplement annexé une grande portion nord du territoire séquane. Aussi ces derniers ont-ils renversé leur alliance et ont pactisé avec les Eduens pour chasser l’envahisseur germain. Leur tentative de reconquête s’étant soldée par un cuisant échec, les Gaulois en sont réduits à faire appel à Rome en 59 av JC. L’intervention diplomatique du Sénat conduite par le consul Jules César fait cesser les hostilités et Arioviste, le chef des Suèves, obtient dans la foulée le titre d’ami du peuple romain. Mais en 58 av JC, ce sont maintenant les Helvètes qui menacent d’ »envahir » le sud du territoire séquane. Ce mouvement est encore une fois indirectement imputable aux Suèves qui ont chassé les Latobices, les Rauraques et les Tulinges depuis le nord, mais aussi les Boïens depuis l’ouest vers la Rhétie-Vindélicie où sont déjà établis les Rhètes et les Vendéliques ainsi que plus récemment les Helvètes. La famine les menace tous, la région ne pouvant pas fournir assez de nourriture pour une telle concentration de population. Aussi toutes ces tribus se sont-elles rassemblées en vue d’émigrer et se sont mises en marche vers la Gaule transalpine en direction de la côte atlantique où les Santons ont promis de les accueillir au nord de l’estuaire de la Gironde. Aussitôt informé, César envoie ses légions pour les stopper à Genua (Genève) car il craint la révolte des Allobroges, qui avaient donné beaucoup de fil à retordre alors qu’ils semaient la dévastation en Narbonnaise seulement deux ans auparavant, s’il laisse leur territoire livré au pillage. Il s’inquiète également de voir les germains prendre possessions des terres abandonnées par les émigrants.

Des ambassadeurs Helvètes sont envoyés à sa rencontre pour négocier la traversée pacifique de la province romaine. César leur demande un délai de réflexion pour donner sa réponse, mais il a déjà pris sa décision et met ce temps à profit pour ériger des palissades hautes de 5 m gardées par des forts et surveillées par des tours à tous les points de passage possibles pour leur barrer la route, prélude à ce à quoi ressembleront bientôt toutes les frontières du futur empire avec le limes. Selon le proconsul, les Helvètes auraient alors été repoussés dans leur tentative de forcer le barrage, mais ils sont plus certainement revenus sans combattre à leur plan initial qui prévoyait de passer par les territoires séquanes et éduens qui avait été abandonné suite à la découverte d’un complot visant à instaurer une monarchie avec Orgétorix à sa tête. Ce dernier a incité le Séquane Casticos, fils de l’ancien chef Catamantaloédis qui avait obtenu le titre d’ami du peuple romain pour sa fidelité pendant la guerre des Cimbres, à prendre le pouvoir et en a fait de même avec Dumnorix, frère de Diviciacos, l’actuel chef Eduen, à qui il a donné sa fille en mariage à pour sceller le pacte. Plutôt que d’envahir ses voisins, Orgétorix avait prévu une alliance avec eux, ce qui devait leur permettre par la suite de se rendre maître de toute la Gaule. Si ses deux comparses finiront par atteindre leur objectif, ce n’est pas le cas d’Orgétorix qui est rapidement démasqué et préfère se suicider plutôt que d’être livré aux flammes par les siens.

Campagne de César en 58 av JC

Le passage en territoire séquane s’effectue en toute amitié, mais sitôt arrivé sur la terre de Eduens, les Helvètes se livrent sans retenue au pillage des biens de ces complices avérés du traître Orgétorix. Les Eduens font naturellement appel à leur protecteur Romain pour faire face à l’invasion à la grande satisfaction de César. Ses légions se lancent à la poursuite des Helvètes et tombent sur une partie de leurs troupes qui n’a pas encore traversé la Saône. Surpris alors qu’ils ne sont pas en ordre de bataille, les migrants se font massacrer. César s’empresse de faire construire un pont sur la rivière et se remet aux trousses de l’ennemi. Les chefs Helvètes, toujours encore désireux d’éviter l’affrontement, tentent à ce moment de négocier une nouvelle foi, ils déclarent qu’ils s’installeront où le proconsul le désire, la proximité du territoire Santon avec Tolosa (Toulouse) étant un des motifs invoqués par le Romain pour s’opposer à leur déplacement. César, qui n’a pas intérêt à voir sa campagne s’arrêter là, y met des conditions bien trop contraignantes. Non seulement réclame t-il des otages pour s’assurer du pacifisme de leurs intentions, mais il exige de plus des réparations pour les dommages subis par les Eduens, ce qui est une intrusion manifeste dans des affaires qui concernent uniquement les différends entre tribus gauloises. La négociation se solde par conséquent par un échec. La chasse reprend. Pendant 14 jours, elle ne donne lieu qu’à quelques escarmouches sans grandes conséquences, mais les évènements se précipitent alors même que les légions s’arrêtent à Bibracte, capitale des Eduens, pour prendre livraison des vivres promis par les alliés de Rome. Rien ne se passe comme prévu. Tout laisse à penser que les romains sont tombés dans un traquenard, le blé n’est pas là car Dumnorix a dissuadé son peuple de le fournir et les Helvètes choisissent ce moment pour faire volte face et provoquent l’affrontement. Le premier choc tourne à leur avantage, la cavalerie romaine ayant été repoussée par les combattants Helvètes suite à la défection des Eduens, mais ils se font mettre en pièces dès qu’ils sont confrontés à l’organisation rigoureuse de l’infanterie. La bataille est poutant aussi longue qu’acharnée, elle débute aux alentours de midi pour ne s’achever que tard dans la nuit, les guerriers gaulois s’étant retranchés derrière leurs chariots avant de se faire massacrer. Un tiers des migrants, soit une bonne centaine de milliers de personnes, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, parviennent tout de même à prendre la fuite et prennent la direction du pays Lingon. Ils sont bientôt rattrapés et contraints de se rendre. De là, les survivants sont reconduits dans les contrées qu’ils avaient déserté pour ne pas laisser le champ libre aux Germains et fondent l’Helvétie. A l’exception des Boïens laissés aux Eduens à Gorgobina comme prise de guerre. César préfère pour l’instant pardonner la trahison de Dumnorix pour préserver son amitié avec son frère Diviciacos, mais ce ne sera plus le cas 4 ans plus tard lorsqu’il récidivera en refusant de se joindre aux troupes romaines pour l’invasion de l’île de Bretagne; il sera alors exécuté.

L’élimination de la menace helvète vaut à César la visite d’ambassadeurs venus de toute la Gaule. Ils le félicitent et lui signifient leur soumission en lui demandant l’autorisation de tenir une assemblée de tous les peuples gaulois qui aura pour but d’entériner l’alliance avec Rome. Maintenant qu’il est reconnu comme le défenseur de la Gaule, César décide de s’occuper du problème germain. Comme il souhaite avant tout bénéficier de la gloire d’être celui qui aura définitivement fait disparaître le spectre d’une invasion de l’Italie par les barbares ainsi que les Romains l’avaient craint lors de la récente guerre des Cimbres, le proconsul ne cherche pas la paix mais pose encore une fois des conditions inacceptables qui ne peuvent « qu’exciter le taureau germain », pour paraphraser l’expression de Bismarck à l’occasion de l’envoi de la dépêche d’Ems. Il exige la restitution des otages Eduens en échange des Suèves détenus par les Séquanes, l’arrêt du transfert de populations depuis la rive droite du Rhin vers la Gaule et la cessation des hostilités envers les Eduens ou leurs alliés. Arioviste ne se laisse pas impressionner et rétorque que les Eduens sont ses vassaux par le droit de la guerre, puis il met César au défi en lui rappelant que son armée est toujours sortie vainqueur des guerres où elle s’est engagée. Pour enfoncer le clou, le chef Suève mobilise ses troupes et se met en marche vers Vesontio (Besançon), capitale des Séquanes. Sitôt informés de ce mouvement, César et ses légions se précipitent vers la ville pour en prendre possession avant l’arrivée de l’ennemi tandis qu’Arioviste établit son camp à 35 km de là. Une nouvelle entrevue entre les deux chefs de guerre à lieu après que les Romains aient pris leurs quartiers dans la plaine; il n’en ressort absolument rien de nouveau. Arioviste se rapproche à son tour, mais il n’est cependant pas encore prêt à livrer bataille, une prêtresse lui ayant prédit la défaite s’il n’attendait pas que les dieux lui soient favorables à la nouvelle lune, aussi se contente t-il de harceler l’ennemi avec 6 000 cavaliers et autant de fantassins alors qu’il dispose de 70 000 guerriers. De nombreux accrochages meurtriers ont lieu, les germains manquent même de s’emparer d’un camp romain secondaire en construction. César, irrité par la situation, décide de passer à la provocation; ses légions se présenteront dorénavant quotidiennement en ordre de bataille face au camp germain. Il ne faut que quelques jours pour qu’Arioviste ordonne à ses troupes de passer à l’assaut. Lors de cette bataille de l’Ochsenfeld, les germains organisés en phalanges mettent rour d’abord l’armée romaine en difficulté, surtout sur leur aile gauche qui menace de céder. Publius Crassus, le fils du triumvir, envoie la troisième ligne des légions à la rescousse, ce qui permet non seulement de contenir l’attaque, mais d’envelopper les assaillants qui perdent alors leur cohésion et se font massacrer jusqu’au dernier. Le carnage continue jusque dans le camp germain où ni les femmes ni les enfants ne sont épargnés. Seul un petit nombre, dont Arioviste, parvient à s’échapper et à traverser le Rhin.

Ainsi s’achève la première année de campagne de César, ses troupes prennent leurs quartiers d’hiver en pays séquane tandis qu’il se rend en Gaule Cisalpine pour s’occuper de l’administration de ses territoires et recevoir ses solliciteurs. Sa victoire est totale. Il jouit à présent de prestige guerrier qu’il recherchait, mais il s’abstient cependant de déclarer sa souveraineté sur les territoires conquis alors que le droit de la guerre l’y autorise, sans non plus la rejeter. A Rome, ses adversaires, Caton en tête, craignent d’autant plus de le voir se transformer en tyran. Ils s’insurgent contre la trahison de la parole donnée à Arioviste, qui avait obtenu le titre d’ami du peuple romain alors même que César était consul, car cela pourrait inciter d’autres peuples à douter de la valeur des accords passés avec le Sénat. Une partie des Gaulois doute d’ailleurs déjà des intentions du proconsul en cet hiver de 58 av JC, la population supporte mal de voir des troupes étrangères stationner sur leurs terres et les tribus de Gaule Belgique ont commencé à s’échanger des otages de crainte d’être la prochaine cible de l’extension romaine. L’intervention occidentale en Libye, essentiellement sous l’impulsion de la France et l’Angleterre qui avaient perdu l’initiative au profit des Etats-Unis depuis la crise du Suez de 1956, pourrait bien déclencher le même genre de réaction. Il faudra réussir à démontrer qu’elle n’était pas uniquement motivée par l’argent du pétrole pour l’éviter.