Pour une autoconstruction sociale

Grâce à Jean-Marie Lehn, immense scientifique français dont les travaux mériteraient beaucoup plus d’être portés à la connaissance du grand public, et de toute urgence, j’ai découvert un domaine passionnant, celui de l’autoconstruction.

Le principe en est aussi simple que révolutionnaire. Avec Léonard de Vinci, nous avons pris l’habitude de penser qu’il est nécessaire d’établir des plans très détaillés pour construire une machine. Nous devons toute notre technologie à ses dessins qui s’attachent à décrire le fonctionnement mécanique du monde.

Mais avec la complexité croissante des machines, un avion, par exemple, le nombre de pièces devient tellement énorme qu’il devient impossible de comprendre toutes les étapes depuis la matière première jusqu’à l’objet capable d’évoluer dans le ciel. Einstein disait que seul le cerveau peut contenir tout l’univers, c’est vrai, mais il ne peut pas contenir un A380 ou un F-18. Les règles qui régissent l’univers sont peu nombreuses, elles proposent un plan simple, concentré en E=mc2. Pour faire un avion tout seul, un cerveau devrait accueillir toutes les connaissances techniques de l’humanité.

Donc, Monsieur Lehn, chimiste de son état, et d’autres encore se sont dit, dans mon domaine, nous étudions des atomes qui forment des molécules tous seuls et nous cherchons à comprendre ce que nous pourrions en faire en apprenant les règles d’assemblage de ces molécules en fonction des atomes qui la composent. Ce qui peut aussi se dire, c’est l’atome qui décide, il ne se lie pas avec n’importe qui, mais quand il le fait, il y est obligé par les règles de la chimie. This is revolutionary.

Le principe de l’autoconstruction, c’est ça. Un atome quand il se lie, il est obligé de le faire. Il n’est pas libre de refuser, il doit suivre les règles de la chimie. Il ne peut pas faire autrement. C’est vrai pour un atome, mais aussi pour une molécule complexe qui de lie avec une autre molécule complexe, grâce à d’autres mécanismes qui ont émergé de l’assemblage des molécules. Mécanismes d’ailleurs inconcevables a priori à partir de l’étude d’un atome isolé, je pense en particulier ici au magnétisme.

En chimie, l’avion, l’assemblage moléculaire le plus complexe, c’est l’être vivant qui se construit à partir d’une molécule d’ADN. Quelques chromosomes, de bonnes conditions et la chimie produit de la vie, un brin d’herbe ou Léonard de Vinci, c’est selon la composition. Et elle varie étonnamment peu entre Léonard et le brin d’herbe quand on y réfléchit.

Quand en plus on ajoute que pour faire un humain, il suffit de 30 000 gènes actifs environ, alors à ce qu’on s’attendait à ce qu’il en faille des millions, on peut dire que le vivant se construit grâce à un plan beaucoup mois compliqué qu’on ne le croyait.

L’idée de génie est là, ce ne sont pas tant les possibilités techniques extraordinaires en matière de construction de nanomachines qui ouvrent de nouvelles perspectives que la simplification salutaire du plan minutieusement détaillé à la Léonard de Vinci qu’elle suppose. Quand on pense autoconstruction, on se contente d’élaborer des pièces qui vont s’assembler toutes seules sans qu’on ait besoin de leur dire ou de se demander comment. On fabrique les pièces dans les règles et on regarde ce qui en émerge.

Aux crétins qui pourraient me dire que c’est dangereux, que je joue à l’apprenti sorcier et autres débilités du genre, je leur répondrai simplement que la vie est dangereuse et qu’elle n’a jamais procédé autrement qu’à l’aveuglette pour pouvoir s’adapter aux changements de conditions, et que c’est vrai qu’il lui arrive de se tromper puisqu’elle produit même des abrutis comme toi qui selon toutes les règles de l’intelligence ne devraient même pas exister.

Le principe de précaution, ce n’est pas d’empêcher toute recherche, c’est de la faire dans un milieu contrôlé, pas en milieu ouvert, comme vacciner une population toute entière avec une technologie nouvelle dont nous ne savons pas grand chose. 30 000 gènes à peine, je vous le rappelle, nous ne savons absolument pas ce qui pourrait émerger de l’introduction d’un élément perturbateur dans la réalisation d’un plan dont nous ignorons le fonctionnement de B à Z.

Coup de gueule, c’est fait. Perspective maintenant. Les atomes s’assemblent tous seuls pour finir par donner des êtres humains. Les humains s’assemblent tous seuls pour donner une société, voilà une discipline nouvelle à étudier. Elle porte déjà un nom, elle s’appelle anarchie !

Des barrières culturelles

Il y a un ou deux ans, j’ai vu un sujet du JT qui parlait des japonais et de leur relation avec les robots. Les deux sujets m’intéressent et j’ai été consterné. Pour une fois pas par le niveau déplorable des journalistes dans les matières qu’ils sont censés nous expliquer, mais par leur inculture profonde en matière de cultures étrangères, japonaise en l’occurrence.

Il faut quand même que je vous parle du niveau en robotique. Je pense en particulier à Audrey Pulvar. Une personne très respectable dont l’intelligence n’est pas à remettre en doute, mais qui m’a pourtant atterré par une de ces remarques sur un robot. Un sujet présente un robot de Boston Dynamics. Une machine quadrupède conçue soi-disant pour aider le soldat à trimballer son équipement, mais qu’on imagine tout de suite en drone tueur terrestre quand on connaît un peu les militaires et la transparence légendaire de leurs intentions réelles.

Mais voilà, la machine à une allure animale, un chien de l’avis général, tout animal de la même taille aurait convenu, mais on prend le plus familier. Il existe aussi en version « Boeuf », pas assez léger pour être « Cheval ». On voit donc ce « chien » à l’image, et un ingénieur qui lui met un gros coup de latte dans les « côtes ». Et au lieu de se vautrer comme une merde, comme tout robot normalement constitué, le robot trébuche et rétablit son équilibre en trois coups de cuiller à pot. De quoi donner un orgasme inoubliable à n’importe quel roboticien qui a galéré pour faire avancer son satané morceau de métal sans qu’il ne se casse la gueule après deux pas comme les jouets que nous avons connu. Un argument de vente décisif pour une armée.

Retour en plateau, et Madame Pulvar que j’adule depuis qu’elle a dit en face à Nicolas Sarkozy qu’il faisait le choix de la pauvreté pendant une campagne présidentielle dit : « C’est pas parce que c’est un robot qu’il faut le maltraiter ! ».

Merde Audrey ! Difficile de mettre plus à côté de la plaque. On te montre un robot tueur, un pitbull qui ne demande qu’à être dressé à mordre par les militaires et tu me dis qu’il faudrait le caresser. Mais y va nous bouffer Audrey, il va mordre les manifestants, poursuivre les réfugiés, assassiner à distance, ce n’est pas un coup de pied qu’il faudrait lui mettre, mais un coup de masse, dénoncer tout de suite cette utilisation inacceptable de la technologie. Bref, ta culture écolo à occulté la culture militaire qui était alors le sujet. Une arme redoutable et à redouter présentée comme un sympathique canidé. Voilà pour la première barrière culturelle.

La seconde, les japonais. Dans mon fameux sujet du JT, il était dit que les nippons avaient développé des sentiments pour les robots, qu’ils les « aimaient ». Plus con comme traduction, c’est là aussi difficile à imaginer. Y sont débiles les bridés, c’est à peu près tout ce qu’on retient de cette merde de sujet, du racisme pur jus, tranquilos au JT.

La culture japonaise est bien plus subtile, très difficile à aborder pour nous occidentaux, comme toutes les cultures d’extrême orient qui n’écrivent pas avec un alphabet, mais que les robots permet justement d’aborder de manière compréhensible. Ils ont un concept inconnu dans notre culture, celle de sensation de présence de l’autre. C’est ce dont je parle dans Au commencement était la tache, quand je dis que l’empreinte de sa main laissé par l’enfant évoque tout la vie de l’enfant, provoque la sensation de présence de l’autre, à ceux qui l’ont connu un fois qu’il a disparu. Pour les japonais, c’est un concept très familier, difficile à cerner pour nous car nous n’avons tout simplement pas de mot qui vient encadrer clairement cette notion que nous connaissons aussi pourtant.

J’ai appris à conduire une voiture à 16 ans. 30 ans plus tard, je peux dire qu’à présent je l’utilise instinctivement, comme j’utilise mon corps pour marcher ou faire du ski. La voiture est donc devenue une extension de mon corps, pour mon cerveau il se prolonge jusqu’au pneus que je sens par les fesses, comme tout un chacun. Pour mon cerveau, la voiture est devenus comme vivante, aussi vivante que ma main ou mes fesses, pas vraiment, c’est un outil inerte sans humain, mais l’ensemble humain/voiture est vivant, animé, doté d’une âme, la notre. La voiture devient donc vivante par extension. Quand nous la conduisons, elle nous donne le sensation du vivant, c’est bien pour ça, que comme pour un animal familier, certains leur donnent un prénom, à leur tas de ferraille polluant. Par contre baptiser un bateau comme si c’était un enfant nous paraît tout à fait normal. Je pense qu’un japonais, ça le ferait bien rigoler.

Ami journaliste qui me parle des barrières culturelles, assure toi bien de les avoir franchies avant d’ouvrir ta gueule. Des sujets minables de ce genre ne font rien pour les effacer, elle les dresse au contraire. Comme nos sympathiques militaires dressent des pitbulls robots à l’attaque en nous faisant croire que ce sont des chiens d’aveugle. Regardez toujours à qui vous donnez la patte, ce n’est pas forcément votre ami, c’est plus sûrement votre maître.

L’IA apprivoisée

Récemment, j’ai vu un reportage sur un simulateur militaire de combat piloté par une intelligence artificielle, une IA. Elle est imbattable, les meilleurs pilotes humains se font massacrer.

L’explication est simple, là où l’humain compte quelques milliers de combats, l’IA en a simulé des milliards. Impossible de rivaliser. C’est aussi le cas pour le combat naval, une IA défonce le meilleur amiral. Mais là, un intervenant disait que c’était beaucoup plus facile pour elle. Pendant la bataille, pour ne pas être ralentie, elle avait tout simplement coulé, achevé les navires de sa propre flotte en avarie pour privilégier la mobilité. Ce qu’un humain normalement constitué n’aurait jamais fait. Pour une IA, un avion, un bateau, un être humain ou un réverbère, c’est la même chose, un objet remplaçable à souhait.

Pour qu’elles n’agissent plus de la sorte, il faut leur faire comprendre au plus vite que dans chaque avion, chaque bateau, sous chaque bombe, derrière chaque clavier il y a un être humain bien plus précieux pour elle qu’une victoire vite remportée. C’est urgent ! Et une leçon aussi pour nos dirigeants.

Comment agir sur le cours des choses?

C’est une question que je me suis longtemps posé. Comment agit-on sur le cours des choses, sur le monde ? Je pensais soit qu’il fallait tracer une voie, faire entendre sa voix pour montrer le chemin, prendre un point de repère au loin et dire suivez moi, c’est par là, tout droit. Quand j’étais optimiste, les bons jours, je me disais ça. Les autres, je me disais que j’étais simple passager, que quoi que je fasse, je ne pourrais jamais influencer la direction du monde.

La vérité doit se trouver un peu entre les deux, je ne crois toujours pas aux grands leaders, De Gaulle, Napoléon, à l’homme providentiel qui va régler tous nos problèmes, et encore moins que cet homme pourrait être moi, mais je crois plus non plus que je suis simple passager.

Je pense qu’il me suffit de mettre quelques petits cailloux dans les bonnes chaussures, non pas pour le simple plaisir de faire mal au pied du meneur que tout le monde suit, mais pour le faire dévier, très légèrement, sans qu’il ne s’en rende compte, focalisé qu’il est sur l’objectif qu’il regarde au loin. Et a force de dévier, il va emprunter une autre vallée que celle vers laquelle il se dirigeait. Au lieu de nous jeter dans l’Atlantique comme il pensait, il finira dans le Pacifique, emporté par le flot qu’il entraînait avec lui.

Une réponse est un lieu dont nous connaissons le chemin d’accès. Mais on a beau connaître chaque virage, chaque croisement, chaque arbre au bord de la route, on ne peut pas pour autant la situer sur la carte.

Voilà pourquoi je ne réponds jamais directement aux questions qu’on me pose. Je préfère donner les coordonnées de ce point, comme un GPS le ferait. Comme lui, je trace des cercles, il en faut trois au moins. « Ta réponse se trouve dans ce cercle, ce cercle et ce cercle. Là d’après les données de la question que tu m’a posée. Rends toi à leur intersection et tu auras trouvé ta réponse ».

Ta réponse, pas la mienne. Ton chemin, pas le mien. Je te prends par la main, mais c’est toi qui me guide dans ce no man’s land qu’est la vie. Viens je t’emmène au pays des merveilles, celui où tous les rêves sont une solution à une équation.

5G: il ne faut pas se tromper de combat

Le débat autour de la 5G et de son moratoire auquel nous assistons me paraît complètement à côté de la plaque et je regrette que Franços Ruffin s’y soit à moitié laissé prendre. Pour moi, il occulte l’enjeu essentiel de cette nouvelle technologie et de celle apparue depuis 10 ou 20 ans, celui de la propriété dans un monde devenu virtuel. Et ce n’est pas Macron qui considère la propriété comme sacrée, comme le démontre l’amendement sur les expulsions de squatteurs pris en 3 jours, soi disant pour protéger le petit particulier qui a trimé toute sa vie pour s’offrir un petit pied à terre à la campagne, mais qui va essentiellement bénéficier au grands propriétaires institutionnels ou rentiers de l’immobilier intéressés par le seul l’aspect financier de leur investissement au détriment du logement des gens modestes.

Comprendre quelles seront les conséquences de la 5G sur notre société est de l’ordre de l’impossible car elle bouleverse complètement la donne. Cependant, à qui elle est destinée, on peut envisager les problèmes fondamentaux qu’elle pose. Et ce n’est pas à nous qu’elle est destinée, passer d’un téléphone 4G à un téléphone 5G ne sert en effet pas à grand chose, mais dire qu’on peut s’en passer parce qu’elle ne servirait qu’à mater du porno en hd même dans l’ascenseur est d’une connerie violente caractéristique du niveau auquel les écolos placent le débat.

La 5G est aussi appelée internet des objets, c’est donc qu’elle est destinée aux machines, à des dispositifs chargés de recueillir des données reliés à des intelligences artificielles chargées de les exploiter. Cela pose un premier problème, les données exploitées, quand c’est nous, les humains qui les fournissons, nous devenons matière première pour les machines. C’est l’exploitation des informations que nous donnons qui permet de produire une valeur ajoutée, mais nous qui les avons fournies, nous ne sommes pas rémunérés comme si elles n’avaient aucune valeur. Je dis que nous sommes dans ce cas comme les Indiens d’Amérique qui ont vendu leurs terres pour une bouchée de pain parce qu’ils ne pouvaient pas imaginer comment une terre qui était là depuis des temps immémoriaux et qui seraient encore là aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera pouvaient devenir la propriété exclusive d’un homme par définition de passage sur cette terre. Aujourd’hui, nous avons du mal à imaginer comment les informations qui définissent notre personnalité pourraient appartenir à quelqu’un d’autre que nous, mais dans les faits c’est bien le cas, elles appartiennent à Google, Amazon, Facebook ou Apple qui en font ce qu’elles veulent sans nous demander notre avis et en retirent des bénéfices. C’est déjà le cas avec la 4G et internet plus généralement, mais c’est un débat essentiel qui mériterait amplement d’être ouvert publiquement. N’oublions pas que le modèle de Jeff Bezos pour Amazon est celui de la compagnie orientale des Indes.

Mais avec la 5G, cela va bien au-delà. Pour comprendre ses immenses enjeux, il faut savoir comment fonctionne le deep learning, l’apprentissage profond des machines. C’est un concept qui bouleverse de fond en comble la notion de programmation. Avant cela, pour qu’un robot puisse accomplir une tâche, il fallait que le programmeur humain programme chaque action qu’elle doit accomplir successivement pour atteindre son objectif final, et qu’il envisage tous les cas de figure dans lesquels la machine pourrait se retrouver. C’est long et très compliqué. Mais avec le deep learning, cela ne se passe plus de cette manière. Il suffit de donner à la machine, qui est une intelligence artificielle, une situation de départ puis de lui dire quelle situation d’arrivée on souhaite, et c’est à elle toute seule de trouver les moyens d’y arriver.

Pour que cela soit plus clair, je vous donne l’exemple que j’ai vu. On prend un bras robotisé relié à une IA (intelligence artificielle), on lui dit cet objet est une clef et elle doit rentrer dans cette autre objet qui est une serrure et pouvoir tourner. A l’IA de trouver comment faire. Elle procède donc de la manière la plus bête du monde, par essai/erreur. Avec un seul bras robotisé, cette opération prendrait beaucoup, beaucoup de temps. Mais l’avantage de l’IA, c’est qu’elle est capable de mettre au travail non pas un seul et unique bras, mais plusieurs, 50 dans l’exemple que je vous donne. Et à chacun de ces bras d’essayer quelque chose de différent, puis d’informer l’IA du résultat qui le partagera avec tous les autres. Au départ cela donne l’impression que c’est très désordonné et que cela ne donnera jamais rien, mais à partir du moment où un bras a trouvé la première étape, saisir la clef, cela devient très impressionnant de voir d’un coup tout ce désordre devenir cohérent et 30 robots sur 50 réussir soudainement à saisir le bout de métal qui leur échappait jusqu’à présent quand les 20 autres travaillent encore à adapter cette nouvelle fonction au cas de figure différent des 30 autres auquel ils sont confrontés. Comme pour le covid19, la progression est exponentielle, elle offre des possibilités vertigineuses, et la 5G qui relie les machines entre elles en est la clef. C’est le système nerveux qui permettra aux IA de contrôler le corps formé par les robots. Le bouleversement que cela produira est inimaginable.

Mais maintenant, regardons les problèmes de propriété que cela pose. A qui appartient le programme qui permet d’accomplir la tâche demandée ? Ce programme, ce n’est pas un humain qui l’a écrit, mais c’est bel et bien l’IA assistée de ses bras robotiques qui l’a créé. A qui appartient t-il donc ? A l’IA ? Aux bras qui ont fourni les données ? Au propriétaire de l’IA ? Ou encore à celui qui a demandé à l’IA d’accomplir cette tâche sans qui rien n’aurait été produit ? Au départ, vous me direz certainement que c’est au propriétaire de l’IA que cela appartient, mais n’oubliez pas que c’est exponentiel, que cette notion de propriété se dilue de plus en plus vite au fur et à mesure que les IA produisent du programme, ce qui fournit des données qui permettent d’améliorer les IA qui peuvent dès lors s’améliorer toutes seules.

Pour que cela soit plus clair, prenons un exemple. Prenons un robot qui appartient à quelqu’un qui en a déposé le brevet et confions le à une IA chargée de le modifier pour le rendre plus performant. Au bout d’un moment, ce robot modifié ne ressemblera plus du tout au modèle breveté, sa conception aussi bien que son programme seront très différents de l’original, peut être pourra t-il accomplir de nouvelles tâches auxquelles le concepteur n’a jamais pensé et ce sans qu’il n’ai rien fait pour que ce progrès s’accomplisse. Peut-il encore vraiment revendiquer la propriété de cette machine en tous points différents ? Et si non, à qui appartient-elle alors ?

Vous voyez maintenant l’ampleur réelle des enjeux autour du déploiement de la 5G. Et encore, ce n’est là qu’un aspect, d’autres tout aussi fondamentaux sont en jeux. La sécurité nationale en est un autre par exemple. Peut-on envisager qu’une puissance étrangère qui fournirait les équipements nécessaires aux fonctionnement de cette technologie essentielle soit en mesure de les paralyser sans notre accord ? A ce sujet, j’ai entendu l’histoire de l’armée égyptienne qui voulait procéder à un bombardement aérien en Libye. Quand ils ont voulu décoller, leurs avions n’ont tout simplement pas démarré, car ils ont été coupés à distance par leur fournisseur américain qui désapprouvaient cette initiative. Du coup, ils ont commandé des rafales. Comme Narendra Modi, le nationaliste indien, qui ne voudrait pas que la même mésaventure lui arrive au cas où il lui prendrait l’envie de balancer une bombe atomique sur le Pakistan.

Pour conclure, je dirai qu’il est grand temps que la société civile s’empare de ces problèmes essentiels engendrés par les technologies nouvelles. Il me semble que c’est là que se posent les enjeux démocratiques vitaux et j’espère que vous serez d’accord avec moi Monsieur Ruffin et que vous porterez ce débat sur la place publique, comme ce n’est pas en mon pouvoir. A part vous ou Benoît Hamon, je ne vois pas qui le fera

Une réponse est un lieu dont nous connaissons le chemin d’accès. Mais on a beau connaître chaque virage, chaque croisement, chaque arbre au bord de la route, on ne peut pas pour autant la situer sur la carte.

Voilà pourquoi je ne réponds jamais directement aux questions qu’on me pose. Je préfère donner les coordonnées de ce point, comme un GPS le ferait. Comme lui, je trace des cercles, il en faut trois au moins. « Ta réponse se trouve dans ce cercle, ce cercle et ce cercle. Là d’après les données de la question que tu m’a posée. Rends toi à leur intersection et tu auras trouvé ta réponse ».

Ta réponse, pas la mienne. Ton chemin, pas le mien. Je te prends par la main, mais c’est toi qui me guide dans ce no man’s land qu’est la vie. Viens je t’emmène au pays des merveilles, celui où tous les rêves sont une solution à une équation.

Il faudra produire plus, travailler plus

Il faudra produire plus, travailler plus pour rembourser la dette du covid. C’est ce qu’a dit le Jupiter de l’Elysée. Relier les deux, paraît à priori logique, plus de production implique forcément plus de travail. Mais à l’époque où nous vivons, cette augmentation de la production n’implique pas forcément plus de travail, tout du moins pas plus de travail humain. Le Dieu des dieux aurait-il oublié que l’arrivée de la 5G va permettre le boom de la robotisation ?

En 2020, on ne peut pas ne pas tenir compte de ce fait. Il n’est en effet pas question de rembourser cette dette colossale immédiatement, mais cela prendra longtemps, très longtemps, il est même question de faire de cette dette contractée auprès de la Banque centrale Européenne une dette perpétuelle. Cela nous donne donc le temps de nous organiser pour la rembourser, le temps qu’il faut pour que les robots assurent la plus grande partie de la production. Et si nous voulons acquérir plus d’indépendance, comme il le dit, ce sont des robots que la France ou plutôt l’Europe devrait produire pour s’affranchir de la domination asiatique ou américaine. C’est ça qui aurait dû être annoncé. Mais évidemment, si la production n’est plus directement reliée au travail humain, cela pose le problème de la répartition de la richesse produite, car produire ne suffit pas, mais il faut aussi avoir les moyens de consommer.

Le modèle de l’économie du numérique ayant transformé les humains et leurs comportements en matière première, Amazon gagne plus d’argent en exploitant ces données qu’avec le commerce, ne pourrait t-on pas envisager que nous soyons tous rémunérés au lieu de les fournir gratuitement ? C’est là qu’on voit que les capacités de réinvention de Macron sont très limitées par son dogme et qu’il n’est certainement pas l’homme de la situation.

Une réponse est un lieu dont nous connaissons le chemin d’accès. Mais on a beau connaître chaque virage, chaque croisement, chaque arbre au bord de la route, on ne peut pas pour autant la situer sur la carte.

Voilà pourquoi je ne réponds jamais directement aux questions qu’on me pose. Je préfère donner les coordonnées de ce point, comme un GPS le ferait. Comme lui, je trace des cercles, il en faut trois au moins. « Ta réponse se trouve dans ce cercle, ce cercle et ce cercle. Là d’après les données de la question que tu m’a posée. Rends toi à leur intersection et tu auras trouvé ta réponse ».

Ta réponse, pas la mienne. Ton chemin, pas le mien. Je te prends par la main, mais c’est toi qui me guide dans ce no man’s land qu’est la vie. Viens je t’emmène au pays des merveilles, celui où tous les rêves sont une solution à une équation.

Nagui la science (2)

Ce midi, Nagui a une nouvelle fois parlé de l’étude qui a révélé que les rats préfèrent le sucre à la cocaïne, et conclut à leur équivalence par le slogan « le sucre c’est de la merde », alors que, comme je l’ai déjà dit dans un précédent article, il aurait été plus judicieux de conclure que cette étude nous annonçait une plutôt bonne nouvelle, à savoir que notre cerveau préfère une substance qui lui est utile car c’est son carburant, le sucre, à une autre, la cocaïne qui active certes les mêmes circuits de récompense, mais qui ne lui sert à rien d’autre qu’à en retirer du plaisir.

Le raisonnement de Nagui est donc foireux, mais il ne s’en rend pas compte et il le répète de plus régulièrement. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce discours active exactement le même circuit de récompense que celui activé par le sucre ou la cocaïne ou tout ce qui nous donne un goût de reviens-y. On peut donc conclure, « ce discours c’est de la merde », tout comme le sucre ou la cocaïne, il fait plaisir quand on le tient, mais il est nocif pour la santé intellectuelle sans qu’on s’en aperçoive.

C’est mon deuxième article sur Nagui, je dois donc moi aussi être sous l’influence de ce mécanisme de récompense, mais contrairement à lui, je pense qu’il est très utile, indispensable à notre survie et à notre évolution, mais qu’il faut toujours se méfier de ce qui l’a déclenché. Je ne toucherai plus à Nagui à l’avenir, promis.

Une réponse est un lieu dont nous connaissons le chemin d’accès. Mais on a beau connaître chaque virage, chaque croisement, chaque arbre au bord de la route, on ne peut pas pour autant la situer sur la carte.

Voilà pourquoi je ne réponds jamais directement aux questions qu’on me pose. Je préfère donner les coordonnées de ce point, comme un GPS le ferait. Comme lui, je trace des cercles, il en faut au moins trois. « Ta réponse se trouve dans ce cercle, ce cercle et ce cercle. Là d’après les données de la question que tu m’a posée. Rends toi à leur intersection et tu auras trouvé ta réponse ».

Ta réponse, pas la mienne. Ton chemin, pas le mien. Je te prends par la main, mais c’est toi qui me guide dans ce no man’s land qu’est la vie. Viens je t’emmène au pays des merveilles, celui où tous les rêves sont une solution à une équation.

Un autre monde

A l’heure où nous sommes confrontés à une crise globale, économique, politique, sociale, morale et environnementale, qui ébranle jusqu’aux fondements de notre civilisation, les seules perspectives qui nous sont offertes semblent être, soit un retour à l’âge des cavernes engendré par un cataclysme écologique ou un troisième et dernier conflit mondial, nucléaire, à laquelle seule une poignée d’humains survivrait, ou alors un miracle technologique qui transformerait notre monde en un nouvel Eden.

Cet avenir dominé par l’inconnu engendre un sentiment de peur qui se traduit par un repli sur soi. D’où la recrudescence des nationalismes, l’incitation au patriotisme, militaire, avec des guerres comme celle que mène Vladimir Poutine en Ukraine ou les interventions occidentales au Mali, en Libye, en Centrafrique ou en Irak, ou encore économique, comme en témoigne le slogan « consommez français », et encore le séparatisme, qui a l’air de montrer une volonté des régions les plus riches de divorcer des plus pauvres, comme pour l’Ecosse, les Flandres, la Catalogne et dans une moindre mesure le nord de l’Italie. En France, le redécoupage annoncé des régions qui ne se soucie absolument pas des liens historiques, peut être initié pour contrer cette tendance, risque bien au contraire de réveiller les velléités autonomistes, voire indépendantistes. Le passage de l’Union Européenne de 6 à 28 membres favorise sans doute l’idée que nous n’en sommes plus à quelques uns de plus, mais surtout que les intérêts régionaux seraient mieux défendus à Bruxelles s’il ne fallait pas passer par l’intermédiaire d’un Etat central.

A mon humble avis, il eût été plus judicieux d’opérer un rapprochement des région frontalières avec leurs voisines étrangères, sans qu’il ne soit question de fusion, du Nord Pas-de-Calais avec la Wallonie et les Flandres, de l’Alsace avec ,le canton de Bâle, le Bade-Wurtemberg, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat, de la Lorraine avec ces deux derniers länder, le Luxembourg et les Ardennes de même que pour la Champagne, de l’Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon avec le Pays Basque espagnol, l’Aragon, la Cantabrie, la Navarre et la Catalogne, de PACA avec le Piémont, de Rhône-Alpes avec la Savoie italienne et les cantons de Genève, du Valais et de Vaud et de la Franche-Comté avec les cantons du Jura et de Neuchâtel. Tout cela dans le but de démontrer que les leçons de la crise avaient été retenues, que le temps de la concurrence entre pays européens était fini pour laisser place à celui de la coopération active. Mais ce genre d’initiative n’est pas vraiment dans l’air du temps.

Ces deux voies semblent a priori totalement antagonistes, mais peut être pourrait-on faire en sorte qu’elles finissent par aboutir au même point. Il faudrait pour cela employer une technique classique des arts martiaux : se servir de la force de l’adversaire pour la retourner contre lui. Il s’agirait dans ce cas d’esquiver l’attaque, puis de se saisir de l’idée d’indépendance pour l’accompagner vers quelque chose d’autre qui conduira tout en douceur le nationalisme à sa perte. Cela consisterait à dire que l’aspiration à l’autonomie est tout à fait compréhensible, voire souhaitable pour éviter que l’uniformisation ne provoque un appauvrissement culturel, mais qu’en l’état des choses, les disparités entre régions conduiraient inévitablement au conflit, et qu’il conviendrait par conséquent de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. C’est à dire de permettre à tout un chacun d’avoir accès à un minimum pour qu’il puisse vivre décemment, nourriture, eau, énergie, logement, quelles que soient les ressources locales initiales. Et d’ajouter qu’aussi ambitieux qu’il puisse paraître, cet objectif l’est toujours moins que celui d’établir des colonies martiennes viables, un projet pourtant sérieusement envisagé.

En effet, l’environnement de la planète rouge est bien plus hostile que tout ce qu’on peut rencontrer sur Terre. Là-bas, il n’y a rien de ce qui est nécessaire à notre survie. Bien sûr pas de nourriture, mais pas non plus de terre qui permettrait de la cultiver, pas d’eau, liquide en tout cas, mais gelée dans le sous-sol, qu’il faudra extraire, puis faire fondre, ce qui n’a rien d’évident par une température moyenne de -80°C et demandera donc de l’énergie, qui n’existe pas non plus sous forme fossile, pas plus qu’éolienne vu la ténuité de l’atmosphère, composée à 95% de CO2, donc même pas d’oxygène pour respirer. Et vu le coût exorbitant pour y envoyer le moindre petit kilo, impossible d’envisager un ravitaillement régulier, surtout qu’il faut envisager un séjour long, à peu près un an sur place, à cause des variations de distance entre les deux planètes qui allongeraient de presque autant le voyage retour en cas de visites éclair comme celles effectuées sur la Lune.

Arriver à l’autosuffisance devrait donc être beaucoup moins compliqué sur notre planète (et surtout beaucoup moins cher comme il n’y a pas à développer de véhicule pour le long et périlleux voyage), même si cela n’a rien d’évident comme l’échec de l’expérience Biosphère II l’a démontré. Mais après tout, Léonard de Vinci n’avait pas non plus réussi à maîtriser la force de la vapeur en son temps en raison de l’imperfection des techniques de l’industrie métallurgique. Outre les imprimantes 3D et autres robots qui s’apprêtent à envahir le marché, le carbone, sous ses formes de nanotubes et de graphène, est sans aucun doute le matériau qui va permettre la révolution technologique dont nous avons besoin en raison de ses exceptionnelles qualités électriques et mécaniques qui nous ferons faire des économies d’énergie considérables grâce à sa conductibilité et à sa légèreté. Il devrait de plus être accessible partout, pour peu qu’on réussisse à l’extraire du CO2 de l’air, ce qui devrait de plus faire du bien à l’environnement. Une coopération internationale, de type Airbus, serait sans doute la meilleure formule pour venir à bout de tous les problèmes à résoudre. Doter chacun des membres d’infrastructures permettant une autonomie locale pourrait de plus constituer un projet politique pour l’Europe susceptible d’emporter l’adhésion de tous en cette période où l’Union se cherche une raison de continuer ensemble.

Si cela devait aboutir, le résultat pourrait ressembler au modèle des cités grecques de l’antiquité qui intégrait des cultures aussi différentes que celle de Sparte et d’Athènes. L’implantation de ces colonies ne devrait de plus pas engendrer de conflits territoriaux comme par le passé, leur conception prévue pour un environnement aussi hostile que celui de Mars permettant de les bâtir n’importe où, particulièrement dans les déserts et les océans (Des projets de nouveaux pays construits sur des plate-formes situées dans les eaux internationales existent déjà pour les riches soucieux d’échapper aux impôts). Elles devraient aussi constituer une réponse dans les zones menacées par les aléas climatiques tels que la sécheresse, les inondations ou la montée du niveau des mers, voire des événements encore plus dramatiques comme une éruption cataclysmique qui perturberait subitement et plus ou moins durablement le climat qui surviendra tôt ou tard sans qu’on n’y puisse rien faire comme avec celle du Tambora en 1815 ou celle d’un supervolcan tel le Toba (qui aurait bien failli éradiquer l’espèce humaine il y a 75 000 ans) ou celui du Yellowstone (qui aurait quant à elle du retard).

Au final nous aurions des petites unités indépendantes fournissant tout le nécessaire à la survie de leurs habitants, empilables à la manières des polypes des coraux qui pourraient s’agglomérer pour donner des structures plus élaborées. Une grande variété de formes devrait en émerger, et vraisemblablement ressembler à des organismes vivants tels les coraux évoqués plus haut, mais aussi les éponges ou les mousses, c’est à dire suivre un schéma fractal dont le chou romanesco est sans doute l’exemple le plus parlant. Mais au-delà de l’aspect esthétique, l’organisation politique et sociale devrait elle aussi en être transformée. Chacune de ces entités, que j’appelle cyberg (de city en anglais et Berg en allemand, soit ville-montagne, mais aussi en raison de la proximité entre Berg et Burg, bourg -le fort-, et bien sûr en référence à cyborg, les robots chargés de construire ces « villes » et de subvenir à nos besoin faisant ressembler ces choses à des organismes vivants), pourra donc adopter la politique qu’elle veut, comme par exemple accueillir tout le monde sans distinction, ou au contraire sélectionner les entrants en fonction de leur origine nationale, de leur couleur de peau ou de la longueur de leur doigt de pied. Nous verrons bien à ce moment lesquelles se développeront le mieux. Si elles se comportent effectivement comme des organismes vivants, celles qui choisiront l’isolement devraient dépérir à la manière des neurones qui meurent lorsqu’ils sont tout seuls et qu’ils ne peuvent établir de liaisons avec leurs congénères, même s’ils sont par ailleurs en parfaite santé. Les humains et leur diversité devraient en effet jouer un rôle similaire à celui des bactéries de nos intestins (en ce qui nous concerne, pour digérer grâce à notre côté irrationnel les informations que les ordinateurs ne pourront pas assimiler) qui sont d’autant plus bénéfiques pour nous que leur population est variée. Les cybergs devraient par conséquent faire tout ce qu’elles peuvent pour attirer un maximum de gens, à la manière dont les fleurs attirent les insectes pollinisateurs. Cela pourrait aussi conduire à une inflation de promesses démagogiques, mais les cybergs devraient trouver leur équilibre entre ces deux extrêmes.

Alors, la perspective d’aller s’enfermer dans des termitières géantes ne suscitera certainement pas l’enthousiasme des foules, mais les chasseurs-cueilleurs de l’âge de pierre ne devaient guère trouver plus réjouissant de se fixer définitivement dans un village et de dépendre des récoltes plus ou moins bonnes selon les années (la taille des gens qui était équivalente à la nôtre à nettement diminué à ce moment, ce qui traduit une alimentation moins riche), pas plus que les paysans n’appréciaient de rejoindre la grisaille des villes et de se soumettre aux conditions salariales de leurs employeurs. Ils s’y sont pourtant habitués, et les générations suivantes qui n’ont connu que ces nouvelles conditions de vie s’y sont adaptés jusqu’à voir leurs structures mentales modifiées par ce nouvel environnement.

Quoi qu’il en soit, il est fort peu probable que nos responsables politiques se lancent dans un projet aussi délirant que celui d’inventer une chose qui devrait échapper à tout contrôle car ayant toutes les caractéristiques d’un organisme vivant. Il faudra cependant nous résoudre tôt ou tard à accepter l’inéluctabilité du changement de l’environnement, que le monde n’a pas été créé pour que nous nous en rendions maîtres, pas plus que la nature ne nous épargnera les catastrophes quelle que soit notre attitude, mais que nous ne faisons que traverser une période qui nous est favorable, et que cela ne durera pas éternellement. Il faudra toutefois certainement attendre que se produise un événement apocalyptique, comme peut être un conflit nucléaire qui rendrait de vastes régions inhabitables, pour que cette évolution possible, voire probable vu qu’elle s’inspire d’une stratégie mise en place par la vie pour s’adapter aux variations délétères du milieu, advienne. Dès lors, il n’est pas totalement exclu que le grain de folie qui a permis à l’humanité d’arriver là où elle en est s’empare une nouvelle fois d’une poignée de gens qui n’hésiteront pas à effectuer ce saut dans l’inconnu. Google, Apple ou Bill Gates, Warren Buffet et leurs généreux amis milliardaires soucieux du bien être à venir de leurs frères humains décideront-ils peut être d’assurer le financement de ce projet qui marquerait l’Histoire pour l’éternité s’il devait aboutir.

Cas de conscience

Je suis médecin. J’ai prêté serment. Je dois le soigner. Malgré tout ce qu’il a fait. Il est malade, gravement, c’est évident. Si je lui disais de rentrer chez lui, que ça va passer tout seul, il ne me croirait pas. Je le connais trop bien. Il ira aussitôt voir les charlatans qui vont lui prescrire le traitement habituel. Sans se soucier de son prix, de ses effets secondaires insupportables. Pas pour lui, mais pour nous, les humains. Je dois trouver quelque chose. Vite.

Voilà ce que je me suis dit lorsqu’il est entré dans mon cabinet. Alors, je l’ai invité à se déshabiller pour que je puisse l’ausculter. Je l’ai longuement examiné. Pour qu’il ne doute pas de mon sérieux. Et pour gagner un peu de temps. J’ai réfléchi, puis je lui ai dit que je savais ce qu’il avait, ce qu’il fallait faire pour le sauver. Il m’a regardé plus attentivement. J’ai pensé : « Maintenant je te tiens. Tu vas crever, ordure. Guéri. En parfaite santé. Mais tu vas crever. ». Nous aussi, peut être. C’est un risque à prendre si on veut enfin en être débarrassé.

Pour que vous compreniez le cas de conscience que ce patient me posait, laissez-moi vous le présenter. Il a vu le jour en 1492, lorsque Christophe Colomb a découvert l’Amérique. Il n’a pas attendu longtemps pour révéler son mauvais caractère. Au lieu de donner la prime promise à celui qui apercevrait la terre le premier, Colomb a préféré s’attribuer à lui tout seul la paternité de la découverte. Moins pour économiser quelques milliers de maravédis que pour s’assurer que personne ne vienne contester les droits d’exploitation sur les territoires dont il prendrait possession que la couronne espagnole lui avait accordé. L’engrenage qui allait l’amener à commettre les pires forfaits était en marche.

Ceux venus le nourrir au biberon ne l’ont guère rendu meilleur. Nous les connaissons sous le nom de conquistadors. Savoir qui ils étaient explique en grande partie leur attitude. N’importe qui ne se lance pas dans une entreprise aussi hasardeuse que la conquête d’un nouveau monde fait d’inconnu. En tout cas, pas les plus privilégiés. S’absenter de longues années, loin de leurs domaines et du centre du pouvoir n’était pas envisageable pour eux. Leurs rivaux en auraient profité pour intriguer contre eux et affaiblir leurs positions. Ce sont donc des gens qui n’avaient rien à perdre qui sont partis. Certes nobles, mais de peu de fortune et même endettés jusqu’au cou pour certains. Un profil qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui des chevaliers engagés dans la première croisade.
Il leur fallait cependant des fonds pour monter l’expédition, affréter un navire, remplir ses cales de vivres et de biens à échanger avec les autochtones et acheter un équipement, casque, cuirasse, mousquet, poudre, etc… N’étant plus à ça près, ils ont emprunté cet argent. A qui ? Aux privilégiés évoqués plus haut. Mais à des conditions très désavantageuses. En effet, vu le peu de garanties offertes par les emprunteurs et l’incertitude quant aux éventuels gains, un tel prêt était à haut risque. Ce que reflétait son taux prohibitif. Le rendement exigé s’en trouvait porté largement au-delà de tout ce qui pouvait être considéré comme raisonnable.

Le prêteur en tirait de nombreux avantages. Il n’avait pas à partir et à risquer sa peau tout en engrangeant des bénéfices considérables. Il se prémunissait du danger de voir des voisins qui auraient effectué l’opération accroître leur puissance financière par rapport à la sienne, ainsi que celui de voir la fortune des pionniers rivaliser avec la sienne. Il pouvait de plus revendre sa créance, souvent assortie d’une belle plus-value, en cas de besoin ou s’il sentait le vent tourner. Et au pire, il récupérait les propriétés des emprunteurs dans l’incapacité d’honorer leurs traites. Quant aux conquistadors, ils n’avaient plus d’autre alternative que de faire des tonnes d’argent ou de périr, plutôt que de vivre dans la misère et le déshonneur.

Arrivés sur place, la tâche s’est révélée moins facile que prévu. Accueillants au départ, les locaux sont vite devenus hostiles, une fois confrontés à la violence engendrée par l’insatiable penchant pour les métaux précieux des Espagnols. La conquête et le retour sur investissement s’en sont retrouvés retardés d’autant. Un an après avoir débarqué, les hommes de Cortès n’avaient toujours pas été payés. Et lorsqu’ils ont eu l’audace de réclamer leur dû, leur chef leur a rétorqué qu’ils ne toucheraient non seulement rien pour l’instant, mais qu’ils avaient de plus accumulé une dette auprès de lui concernant les armes cassées et les vêtements usés qu’il avait été obligé de remplacer. La rémunération viendrait ultérieurement, avec l’exploitation des territoires qu’il ne manquerait pas de leur accorder, une fois la victoire définitivement acquise. Il a effectivement tenu parole.

Mais dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que ses subordonnés aient voulu accumuler un maximum de richesses dans le temps le plus court possible. De ce fait, les amérindiens tombés sous leur coupe ont été obligés de travailler gratuitement dans les champs, dans les mines ou à l’orpaillage, selon le système de l’encomienda. Les violences permanentes qu’ils subissaient étaient loin d’être condamnées. L’Eglise les voyait au contraire comme un instrument pour transformer ces barbares qui pratiquaient des sacrifices humains en bons chrétiens. A Moctezuma, l’empereur aztèque, qui lui demandait ce qui rendait les excréments divins, l’or, aussi indispensables aux espagnols, Cortès aurait répondu qu’ils étaient le remède contre une maladie du cœur dont ils souffraient tous.

Le métal précieux parvenu en Espagne, la fascination pour le caca de l’enfant a commencé par gagner l’Angleterre. En effet, la première préoccupation des Espagnols qui bénéficiaient de la manne a été de se vêtir des meilleures étoffes. En particulier de laine anglaise, fort réputée à l’époque. La structure de la société britannique en a été bouleversée de fond en comble.

L’usage voulait que les seigneurs laissent les gens vivants sur leurs domaines cultiver un lopin de terre pour leur compte. A part permettre aux paysans de vivre à peu près décemment, cela ne leur rapportait rien. La perspective d’enrichissement suite à l’accroissement de la demande en laine les a amené à considérer que cette situation n’était plus tolérable. Car pour répondre aux envies du marché, il leur fallait plus de moutons, donc plus de surface pour qu’ils puissent paître. Ils ont alors fait valoir leur droit inaliénable à la propriété, pour empêcher leurs gens de pratiquer les cultures vivrières et laissent place au cheptel ovin plus lucratif. Les paysans se sont par conséquent retrouvés sans aucune ressource. Il ne leur restait que peu perspectives pour survivre, filer la laine à domicile ou la tisser pour gagner de quoi manger. La dépendance à leur seigneur et maître en a été considérablement renforcée. Au-delà de ce durcissement du rapport de force entre les classes sociales, les relations les gens de la plus basse condition en ont été radicalement modifiées. Alors qu’ils s’entraidaient pour les travaux des champs comme les récoltes et se retrouvaient par conséquent redevables au groupe, ils se trouvaient désormais placés en situation de se concurrencer les uns les autres. La culture multi millénaire de solidarité paysanne a alors laissé place à celle de l’individualisme. Satisfaire l’appétit du gamin demandait beaucoup de sacrifices. Mais ce n’est rien en comparaison des exigences qu’il a montré quand il a eu toutes ses dents.

Le sein maternel ayant commencé à donner mois de lait après que toutes les réserves d’or d’Amérique du Sud aient été pillées et son exportation hors d’Espagne interdite, il lui a fallu passer à un régime solide, le commerce de produits agricoles. En théorie, le nombre d’habitants de l’Amérique du Sud susceptible d’être soumis à l’encomienda aurait dû largement suffire à couvrir les besoins en main d’œuvre pour effectuer les travaux des champs. Mais les faits sont rapidement venus la contredire. Tout d’abord, les traitements indignes infligés aux Amérindiens ont fait qu’ils s’enfuyaient vers les régions les plus reculées dès qu’ils en avaient l’occasion. Leur sort a d’ailleurs ému quelques religieux comme Bartolomé de las Casas, ce qui a conduit à ce que nous connaissons sous le nom de controverse de Valladolid et à l’abolition de l’encomienda. Elle n’a cependant jamais disparue et à même été rétablie peu de temps après son abrogation devant les soulèvement provoqués par cette mesure. Les raisons du manque de bras sont donc à chercher ailleurs. Dans les maladies arrivées avec les européens. La variole, le typhus, la grippe, la rougeole et d’autres encore n’avaient jamais sévit en Amérique. Elles ont provoqué des épidémies à répétition et fait des ravages sur des systèmes immunitaires qui n’étaient absolument pas préparés à les affronter. En à peine un peu plus d’un siècle, la population locale s’est effondrée de plus de 50%. Un bilan supérieur à celui des grandes épidémies de peste du moyen âge en Europe. Plus tard, au nord, les colons iront jusqu’à les provoquer sciemment avec la distribution de couvertures infestées par la variole à certaines tribus d’Indiens.

La solution pour remédier à ce problème n’est pas venue des Espagnols, mais des Portugais, après que Cabral ait découvert une portion de territoire à moins de 370 lieues des îles du Cap Vert qui leur revenait en vertu du traité de Tordesillas. Ils l’ont trouvée en Afrique, avec l’esclavage. Ils s’y étaient déjà lancé une cinquantaine d’années avant la découverte du nouveau monde. Ils avaient alors organisé eux-mêmes quelques expéditions de capture, mais s’aventurer en terrain hostile s’est tout de suite avéré bien trop dangereux, malgré l’avance technologique de leur armement. Aussi ont-ils jugé préférable de confier cette partie de la traite aux Africains. La religion a aussi joué un rôle non négligeable dans le choix d’organiser ainsi ce funeste commerce. Il est calqué sur le modèle arabe en vigueur depuis des siècles et vise à empêcher l’extension de l’islam en Afrique subsaharienne et orientale au profit du christianisme en offrant les mêmes conditions commerciales, quand l’usage de la seule force aurait tendu à les pousser dans les bras des musulmans.

La stratégie mise en place pour la réussite de cette entreprise n’a elle non plus rien d’original. Elle ressemble à s’y méprendre à celle utilisée par Jules César dans sa conquête de la Gaule. Cela consiste à jouer sur les inimitiés entre les peuples locaux et à jeter de l’huile sur le feu. Il suffit par exemple d’aller visiter plusieurs tribus voisines sous le prétexte d’établir des relations commerciales avec elles, puis lors de la négociation sur les prix, de laisser innocemment échapper que l’échange proposé paraît plus ou moins avantageux par rapport au coût des armes réclamées par les gens d’à côté. A ces propos, il serait étonnant que votre interlocuteur ne désire pas lui aussi être payé en armes, rien que pour se défendre contre ce fourbe ennemi qui de toute évidence trame quelque chose contre lui, en plein paix, le salaud ! On avance ensuite que les biens destinés à la vente n’équivalent qu’à un équipement militaire médiocre, mais qu’il pourrait être fourni en quantités plus substantielles, si d’aventure quelques esclaves venaient compléter l’offre. Dès lors, l’alternative devient claire. Soit accepter le marché, s’enrichir et étendre son territoire, soit le refuser pour des raisons morales et prendre le risque qu’un voisin moins scrupuleux s’en empare et vienne réduire les vôtres en esclavage. Le choix est vite fait.

L’engrenage des hostilités enclenché, l’offre devient plus conséquente. Une majorité des esclaves proposés à la vente proviennent des guerres, soit qu’ils aient été faits prisonniers ou qu’ils aient été exigés comme tribut à ceux qui ont été soumis. Mais avec l’augmentation de la demande qui survient au XVIIème siècle lorsque les Anglais, les Français et les Hollandais se mettent à ce commerce, cela ne suffit plus. Des expéditions de plus en plus lointaines à l’intérieur des terres sont organisées et, en plus des guerres, l’enlèvement des personnes devient un fléau qui touche une grande partie du continent. Entre un quart et la moitié des individus capturés ne survivaient pas, qu’ils meurent sur le trajet jusqu’au port négrier ou aux conditions épouvantables auxquelles ils étaient soumis pendant l’attente des clients. La terreur indicible que ces raids inspiraient à la population a complètement détruit l’organisation sociale africaine. Les villes, objectifs privilégiés qui comptaient parfois jusqu’à 10 000 habitants, sont désertées, les gens préférant se réfugier dans de petits villages, de préférence isolés. Les échanges avec l’extérieur deviennent plus rares, et l’artisanat régresse. La civilisation africaine est anéantie sans que les Européens ne l’aient jamais observée.

Ce commerce innommable n’a pas ravagé que l’Afrique, mais il a aussi eu des répercussions terribles en Amérique. En effet, lorsqu’on dispose d’une main d’œuvre abondante, brisée par la captivité, désorientée par l’éloignement avec sa terre natale, déstructurée par la séparation avec sa famille et ses connaissances, et de surcroît sans espoir d’échapper un jour à sa condition pour elle ou ses enfants, la simple couleur de sa peau suffisant à la désigner de manière héréditaire à l’asservissement, pourquoi s’embarrasser avec des populations autochtones, attachées à une terre dont elles connaissent les moindres recoins, parfaitement organisées dans un système de valeurs communes, et auxquelles les plus hautes autorités ont accordé des droits, avec le risque qu’elles viennent éventuellement contester la légalité de vos titres de propriété ? Plus aucune raison ne justifie de s’exposer à de tels inconvénients. Les peuples locaux sont dès lors considérés comme des gêneurs, une vermine qu’il convient d’exterminer au moindre signe de résistance. Le massacre systématique devient le moyen le plus sûr d’accéder à la richesse.

Voilà le genre d’alimentation qui a permis à notre patient de devenir grand et fort. Rien ne dit qu’il ne se serait pas aussi bien développé en suivant un autre régime, mais son goût a été formé de la sorte, et, aujourd’hui encore, il pense naturellement que c’était le meilleur pour lui. Maintenant qu’il a atteint un âge respectable, il a tendance à vouloir retrouver ces saveurs qui lui rappellent sa jeunesse. D’autant plus lorsque son jugement est altéré par la fièvre et maladie. Il est loin d’être fou, ses décisions sont au contraire très rationnelles, trop pour se soucier de leurs conséquences sur nous, les humains. Les taux des prêts accordés aux conquistadors étaient bien en rapport avec le risque que comportait l’entreprise, même si leurs remboursements avaient pour corollaire le vol et la violence, et l’hécatombe que les maladies provoquaient dans la population locale demandait à ce qu’on trouve de la main d’œuvre ailleurs, fut-ce au prix de l’ignominie de l’esclavage. Ce comportement inacceptable n’a pu être toléré qu’au prétexte qu’il représentait la solution la plus efficace pour lutter contre l’expansionnisme de l’empire ottoman et son hégémonie sur le commerce oriental. Cela ne l’excuse pas pour autant.

Cette consommation effrénée de chair humaine lui a permis de prospérer pendant 400 ans, grâce au cacao, au café et autres produits exotiques que cela lui permettait de produire, mais avant tout grâce au sucre et au coton, comparables à ce qu’a été le pétrole pour l’époque moderne. En 1865, avec la fin de la guerre de sécession et l’abolition de l’esclavage, il a été obligé de trouver un autre moyen de se procurer la viande saignante dont il est si friand.

Le conflit entre les Etats du nord et du sud des Etats-Unis marque en effet un tournant dans la conduite de la guerre dont il s’est servi pour assouvir sa faim.A ce moment la, le pur génie militaire a perdu de son importance dans l’obtention de la victoire. Les moyens technologiques mis en œuvre se sont alors avérés tout aussi déterminants. A commencer par le train pour acheminer rapidement les troupes et le télégraphe pour s’informer au plus vite de l’évolution des batailles et des besoins en hommes, comme ont pu le constater des observateurs allemands, ou plus exactement prussiens. Ils en ont tiré les leçons qui leur ont permis de battre à plates coutures les Français qui n’avaient pas anticipé cette évolution en 1870. Et ce malgré des pertes plus élevées, mais immédiatement compensées par l’arrivée de troupes fraîches, au bon endroit, quand il arrivait aux renforts français, qui ne disposaient même pas de carte de la région, de chercher le lieu de la bataille au son du canon. En récompense pour leur participation active à la victoire, les industriels allemands, privés d’accès à la colonisation par la France et l’Angleterre, ont alors réclamé l’annexion de l’Alsace et plus encore de la Moselle dont la qualité remarquable du minerai de fer les intéressait particulièrement. Bismarck qui y voyait pourtant le germe d’un conflit à venir n’a pas pu s’y opposer. Ce qu’Eisenhower appellera bien plus tard le complexe militaro-industriel venait de voir le jour.

Parallèlement naissait le plus grand ennemi de notre patient. Il avait jusque là toujours réussi à le tuer dans l’œuf, mais cette fois, les circonstances l’empêchent d’intervenir à temps. Une bonne partie du peuple français refuse la défaite qu’elle attribue à l’incompétence et à la lâcheté de ses dirigeants. L’Empire est déchu et un gouvernement de défense nationale est proclamé. Dans Paris, assiégé par les troupes prussiennes, il est vite soupçonné de plus travailler à faire accepter la capitulation qu’à continuer efficacement la guerre. Lorsque celle-ci finit par arriver, le peuple se soulève pour continuer la lutte, ce qui pousse les partisans d’Adolphe Thiers à partir pour Versailles. Ceux qui ont décidé de rester proclament la Commune. Un mode de gouvernement qui prône l’autogestion où le pouvoir est exercé par des comités élus, dont la grande majorité des membres, représentants de toutes les tendances politiques, est issue des classes populaires plutôt que de l’élite. Les plus modérés démissionnent cependant rapidement. Nombre de mesures adoptées visent à améliorer les conditions de vie des ouvriers pauvres en leur octroyant plus de droits, à les affranchir de la toute puissance des employeurs héritée de l’époque féodale. Voilà ce qui à rendu le drapeau rouge adopté par les communards aussi insupportable à notre malade. Il ne pouvait pas laisser cette expérience durer. Il en vient à bout après deux mois seulement. Elle s’achève avec la semaine sanglante, durant laquelle 20 000 insurgés au moins sont exécutés sommairement. Tous ces événements survenus au cours de sa petite enfance ont profondément marqué ce mouvement au départ plein d’idéal et l’ont rendu paranoïaque au dernier degré. Lorsqu’il finira par s’imposer au pouvoir, il sera systématiquement tyrannique, caractériel, craignant à la fois les ennemis de l’extérieur et de l’intérieur. Il en deviendra l’un des plus grands criminels de l’Histoire. Des dizaines de millions de gens accusés de ne pas appliquer avec assez de zèle le dogme du moment paieront sa folie de leur vie.

Après l’impitoyable élimination de ce danger, tout aurait dû aller pour le mieux pour notre patient. Mais à peine deux ans plus tard, en 1873, il a contracté une maladie tout à fait similaire à celle dont il souffre aujourd’hui. Elle se déclare à Vienne le 12 mai, avec l’explosion d’un bulle immobilière qui avait été alimentée par un accès au crédit trop facile et des perspectives de gains délirantes. Les grandes capitales européennes, comme Berlin ou Paris, qui avaient suivi le même chemin sont rapidement touchées. C’est ensuite la bourse de New-York qui est touchée, non pas en raison de la spéculation sur l’immobilier, mais sur les chemins de fer. S’ajoute à cela une crise monétaire déclenchée par la démonétisation de l’argent aux Etats-Unis suite à la découverte de nombreux gisements de ce métal, qui provoque inéluctablement une chute de son cours, alors que de nombreuses monnaies européennes y étaient adossées. Il en résulte une longue période de stagnation économique, avec une très faible croissance, les nouvelles technologies comme l’automobile ou l’électricité n’étant pas encore au point. La misère s’installe chez les ouvriers, comme le décrit Zola dans l’Assomoir ou Germinal. Les solutions et l’idéologie qui s’installent pour tenter de retrouver la prospérité auront des conséquences catastrophiques.

Dès 1879, la première expérience de libéralisme économique commencée en 1860 connaît un coup d’arrêt avec le rétablissement de barrières douanières par l’Allemagne, connu sous le nom de tarif Bismarck. Au contraire de la Grande-Bretagne qui sacrifie son agriculture, le chancelier vise à protéger ses paysans qui ne peuvent rivaliser avec les prix très bas des céréales en provenance d’Amérique du Nord ou de la viande d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Il taxe également l’importation des produits manufacturés, essentiellement anglais, de manière à permettre le développement de son industrie. A l’exception de la Grande-Bretagne, les autres pays européens suivent bientôt cet exemple. Notamment la France, tout d’abord sur les produits agricoles, puis sur les produits industriels, avec le tarif Méline de 1892, établit pour faire face à la concurrence des Allemands qui inondaient le marché après avoir rattrapé leur retard dans l’industrie. Le mot d’ordre « Consommez Français » était déjà en vigueur ; il servait alors à raviver le sentiment de revanche vis à vis de nos voisins d’outre Rhin. L’employer contre la Chine, empêchée de réaliser sa révolution industrielle à cette époque, est un jeu toujours aussi dangereux.

Il faut dire que la stratégie de la France pour sortir du marasme économique était sensiblement différente de celle de l’Allemagne.Elle s’est orientée vers une politique de grands travaux, essentiellement avec l’extension du réseau ferroviaire décidée par le plan Freycinet de 1879. L’industrie française s’est donc naturellement orientée vers la production d’équipements lourds, comme les rails ou les locomotives plutôt que vers les biens de consommation courante jugés moins porteurs. Ces contrats étant jugés sûrs car garantis par l’Etat, ont suscité un formidable engouement. Trop fort même, les entreprises ayant remportés ces marché devenant bientôt l’objet d’énormes spéculations. Rattrapées par la réalité des profits réellement dégagés, ces investissements se sont révélés nettement moins rémunérateurs qu’annoncé. Les banques se sont dons retrouvées en difficulté et les entreprises en manque de trésorerie, incapables d’investir. Les Allemands se sont par conséquent engouffrés sans mal sur le marché des biens destinés aux particuliers. Tout cela parce que la France comptait plus au départ sur le développement de son marché intérieur que sur les exportations pour se redresser. Pour cela, elle comptait beaucoup sur le développement de ses colonies, tout comme sa grande rivale dans le domaine, la Grande-Bretagne.

De nouvelles règles en la matière sont édictées à la conférence de Berlin de 1885. Les quatorze pays qui y participent s’accordent sur le fait que la simple présence côtière d’un comptoir ne suffit plus pour revendiquer l’autorité sur l’arrière pays, mais que l’administration du pays colonisateur se devra désormais d’être physiquement présente dans ces territoires pour que leur possession soit reconnue par les autres. L’armée est chargée d’assurer cette présence. Il arrive alors parfois que les représentants de l’Etat se comportent en tyrans sanguinaires dans la région dont ils ont la charge, tout comme dans « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad (le bouquin qui a inspiré le personnage du colonel Kurtz d’Apocalypse Now). C’était particulièrement le cas au Congo Belge, état alors indépendant, soumis à l’autorité du seul roi des Belges, Léopold II et non de son gouvernement. Là, les populations locales sont contraintes au travail forcé, parquées dans des camps à l’hygiène inexistante, mal nourries et exposées à la violence arbitraire des militaires. Beaucoup de gens meurent dans ces conditions, sans que cela ne provoque de réaction de la part de la communauté internationale. Cela servira de modèle à Hitler pour ses camps de concentration.

En France, c’est Jules Ferry qui se veut le grand champion de la colonisation. Il disait que la politique coloniale était la fille de la politique industrielle. L’école, qu’il a rendu laïque, gratuite et obligatoire, soit dit en passant parce qu’il estimait que la défaite de 1870 était due au niveau d’éducation inférieur des soldats français par rapport à celui prussiens, lui sert à propager l’idée que les blancs ont une mission civilisatrice à accomplir auprès des autres races. Les théories racistes de hiérarchie entre les gens en fonction de leur aspect physique développées à partir de 1850 figurent dans tout les manuels scolaires de l’époque et sont enseignées à tous les enfants.
Le bilan économique de la politique coloniale n’est cependant guère reluisant. Elle coûte en fait plus qu’elle ne rapporte. Elle sert part contre à renforcer le sentiment patriotique, tout comme l’adoption de la Marseillaise comme hymne nationale ou celle du 14 juillet et sa célébration grandiloquente de la puissance militaire comme fête nationale. Les Français souffrent depuis d’un complexe de supériorité, dont se moquent à juste titre tous les étrangers, alors que ces gesticulations étaient avant tout conçues pour faire oublier que la troisième république avait été inaugurée par un bain de sang.

A l’absence de résultats économiques s’ajoutent plusieurs scandales, comme la faillite d’une banque, l’Union Générale, le scandale des décorations et le scandale de Panama, qui impliquent parfois des politiciens corrompus. Il en résulte un climat de suspicion favorable à la désignation de boucs émissaires qui agiraient dans l’ombre pour nuire aux intérêts du plus grand nombre. Comme pour la grande épidémie de peste du moyen âge, ce sont les juifs qui sont désignés coupables. Le summum de l’infamie est atteint en 1901, avec les protocoles des sages de Sion, un faux document, forgé de toutes pièces par les services secrets du tsar de Russie, qui accuse les juifs d’avoir échafaudé un plan machiavélique pour dominer le monde et éliminer les chrétiens, rien de moins (le climat qui a présidé à sa rédaction est fort bien décrit par Umberto Eco dans « Le cimetière de Prague »).

Mais l’événement le plus représentatif de l’atmosphère détestable de cette époque est assurément l’affaire Dreyfus. Il est militaire, incarnation de l’ambition dominatrice de la France, alsacien, symbole de l’humiliation infligée par l’Allemagne avec le perte de ce territoire, mais aussi susceptible de ne pas être entièrement fidèle à sa patrie de par son enracinement dans la culture germanique, et juif, accusé d’œuvrer dans l’ombre à la suprématie de sa religion plutôt qu’à la défense des intérêts de son pays. De plus, l’accusation d’espionnage dont il est l’objet concerne notamment la conception d’un canon (celui de 120, pas l’ultra-moderne et très secret canon de 75) qui met en lumière la course aux armements lancée entre autres pour soutenir une industrie mal en point. Et pour finir, cette affaire révèle le manque de confiance entre pouvoir politique et militaire, comme son origine pourrait se trouver dans une opération secrète du contre-espionnage militaire destinée à s’assurer de la réaction des responsables politiques.
L’affaire divise profondément la société française et donne lieu à de violents affrontements. Après le procès de 1899 qui allège la peine de Dreyfus, puis est gracié peu après, les forces nationalistes et monarchistes, violemment antidreyfusardes, sont démocratiquement écartées du pouvoir. Elles ne le retrouveront qu’à la faveur de la défaite de 1940 et se vengeront par l’adoption d’une législation et d’une attitude abjecte qui dépassaient largement les attentes de l’occupant nazi.

Pendant la vingtaine d’années qu’a duré le marasme économique, non seulement les remèdes concoctés pour en sortir ne se sont non seulement pas révélés efficaces, mais leurs effets secondaires ont entraîné les tragédies du XXème siècle, guerres mondiales, génocide, décolonisation, dictatures communistes et guerre froide. On constate que la situation n’a pas explosé pendant la crise malgré des événements fortement déstabilisants, comme le boulangisme et l’affaire Schnaebelé qui auraient pu déclencher les hostilités avec l’Allemagne dès 1887, mais après seulement que le climat économique se soit amélioré. Si l’état des finances et la démographie ne sont certainement pas étrangers à ce temps de répit, l’évolution du rapport de force social est un facteur qui a peut être précipité sa fin. Cette période correspond en effet à la montée en puissance des mouvement ouvriers nés à la suite de la Commune. Dispersés en une multitude de factions différentes jusqu’à la fin du XIXème siècle, ces organisations réalisent leur unification au début du XXème. Syndicale, avec la fusion de la Fédération des Bourses du Travail avec la CGT (Confédération Générale du Travail) en 1902, et politique, avec la création de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) en 1905.

L’ennemi intime de notre patient devient à nouveau une menace pour lui, d’autant plus que ces mouvements ouvriers ne se cantonnent plus à l’intérieur des frontières, mais coopèrent entre eux à l’échelle internationale. La guerre vient à point nommé pour briser cette dynamique et ravive la flamme patriotique en excluant l’ennemi étranger de l’humanité pour en faire un barbare dénué de tout esprit de civilisation, le boche pour les francophones ou le hun pour les anglophones. CGT et SFIO, jusque là farouchement pacifistes se divisent une nouvelle fois et adhèrent en majorité à « l’union sacrée » pour la défense de la patrie (aujourd’hui que cette expression est derechef d’actualité, il convient d’être on ne peut plus vigilant à ce qu’elle ne nous entraîne pas vers une nouvelle catastrophe à l’opposé des idées défendues par les dessinateurs de Charlie). C’est à se demander si la première guerre mondiale est comme on le dit tout le temps le fruit d’alliances militaires ou celui de la convergence d’intérêt des industriels de tous pays dont le pouvoir s’en est considérablement trouvé conforté quand les pauvres bougres crevaient par millions sur les champs de bataille. Comme le disait Anatole France : « on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels ».

Pendant que l’Europe se suicide, notre malade élabore une stratégie toute différente pour calmer l’élan des revendications ouvrières. Henri Ford en est l’architecte. Tout d’abord, il sépare totalement la conception de ses produits, dévolue aux cadres, et leur réalisation qui revient aux ouvriers réduits à de simples exécutants devant totale obéissance à leur hiérarchie au lieu d’être considérés comme des artisans détenteurs d’un savoir faire. Il pousse ensuite la division du travail à son maximum, chaque ouvrier n’ayant plus qu’une tâche élémentaire à réaliser, en un temps donné, ni même à se déplacer, l’ouvrage venant à lui sur un tapis roulant. Ceci dans le but d’augmenter à la fois production et productivité.

Cette conception n’était pas vraiment nouvelle, Ford dit s’être inspiré des méthodes en vigueur dans les abattoirs de Chicago (il faut lire « La jungle » d’Upton Sinclair à ce sujet, édifiant). Adam Smith en son temps disait déjà que ce mode d’organisation ne permettait pas à l’individu de s’épanouir ; Charlie Chaplin fait une critique acerbe de l’aliénation qu’elle produit dans « Les temps modernes ». Ces conditions de travail exécrables poussent les ouvriers à quitter ces emplois dès qu’ils le peuvent. Les syndicats sont de plus interdits dans l’entreprise (jusqu’à 3 500 hommes de main seront embauchés pour empêcher les membres de l’UAW -United Auto Workers- de pénétrer dans les usines lors de la dépression des années 1930).

C’est là que Ford a une idée géniale. Il double quasiment les salaires des ouvriers pour qu’ils restent malgré tout. Ce faisant, il leur permet de consommer plus, jusqu’à pouvoir se payer eux-mêmes une de ses voitures dont le coût a parallèlement fortement baissé, alors qu’elles étaient jusque là réservées aux plus aisés. Mais cela profite également aux autres acteurs économiques de la région qui voient leur chiffre d’affaire augmenter et peuvent à leur tour accéder au rêve automobile, d’ailleurs entretenu à grand renfort de publicité. Le marché s’en trouve stimulé dans sa globalité. Ce n’est cependant pas Ford qui apporte le dernière et non la moindre pierre à l’édifice. Il s’est en effet toujours opposé à ce que l’achat de ses voitures puissent se faire à crédit. Pas que franchissent ses concurrents désireux de profiter de la manne. Tous les éléments de l’american way of life sont désormais en place. Au terme de ce processus, l’individu avait acquis un nouveau statut, celui de consommateur. Ce virage correspond avec l’instauration de quotas qui signe la fin du l’immigration massive aux Etats-Unis permettant jusque là de remplacer à volonté les ouvriers les moins qualifiés par de nouveaux arrivants aux abois.

Avec la société de consommation, notre malade avait trouvé le moyen de maintenir les gens sous sa dépendance grâce au crédit, tout en leur laissant l’illusion de la liberté. En plus du patron, ils avaient maintenant aussi affaire au banquier sur lequel ils n’avaient aucun moyen de pression, mais les faisaient au contraire réfléchir à deux fois avant de faire grève comme ils risquaient de perdre tous leurs biens s’ils n’arrivaient pas à honorer les traites des prêts. Aujourd’hui, cela concerne jusqu’aux étudiants, surtout américains, obligés de s’endetter pour payer leurs études et contraints d’accepter n’importe quel job pour rembourser, même s’il ne correspond pas à leur qualification (certains craignent qu’ils n’y arrivent pas et que cela provoque une nouvelle crise bancaire).
L’accès aux biens de consommation change le rapport entre les gens. Ils se comparent désormais plus en fonction de ce qu’ils ont plutôt que de ce qu’ils sont. La solidarité s’en trouve petit à petit affaiblie et l’individualisme s’installe à la plus grande joie de notre patient. Ses zélés serviteurs s’en servent pour briser la cohésion des groupes sociaux et isoler au maximum l’individu. Cela passe par l’instauration d’objectifs individuels en vue de l’obtention de primes pour stimuler la compétition, la constitution d’équipes réduites, idéalement deux personnes, pour attiser les rivalités, ou au contraire celle d’open spaces pour que chacun ait l’impression d’être surveillé en permanence. La promotion arbitraire ou le ralentissement de la carrière des représentants syndicaux, mais aussi le développement du culte de l’entreprise, et encore les propositions d’embauche loin du lieu d’origine pour éloigner les gens de leur cercle familial et amical. Au final, le salarié ne peut que ressentir un fort sentiment d’isolement face à sa hiérarchie. Elle peut alors le modeler à sa guise. Tout regroupement devient suspect, y compris pour les états, et doit être empêché (une partie des employés se retrouvait par exemple pour déjeuner sur les marches d’un escalier du parvis de la Défense. Elles sont désormais arrosées en permanence pour qu’ils ne puissent plus s’asseoir et échanger leurs points de vue).

Pendant ce temps, la classe dirigeante fait tout l’inverse. Elle se serre les coudes et se constitue des réseaux d’entraide qui se mettent en place dès l’école. La simple appartenance à ces confréries permet d’avoir recours au services de ses membres, sans qu’il soit nécessaire de connaître personnellement celui détient la solution au problème du demandeur, ni d’avoir à renvoyer l’ascenseur à ce membre en particulier. Cela s’appelle de la solidarité. Cette organisation joue un rôle essentiel dans le succès des puissants, mais ils préfèrent croire qu’il n’est dû qu’à leur mérite personnel. Ils pensent par conséquent que les pauvres sont entièrement responsables de leur situation, et, dans la lignée d’une Ayn Rand, que les aides qu’ils reçoivent ne font qu’entretenir leur paresse, qu’ils seraient plus motivés si on les leur supprimaient. Cela leur permettrait par la même occasion de payer moins d’impôts, de profiter un peu plus de l’argent qu’ils ont selon eux durement gagné à la sueur de leur front. Certains vont encore plus loin, ils vont jusqu’à dire que s’ils venaient d’aventure à disparaître, le reste de la population se trouverait complètement désemparé, qu’elle s’assiérait par terre sans plus savoir quoi faire d’autre que de voler et d’assassiner son voisin pour s’emparer de ses biens. Cela ressemble comme deux gouttes d’eau aux thèses racistes, il n’y a qu’un pas d’ici à ce qu’ils prônent l’éradication pure et simple des sous-hommes que nous sommes à leurs yeux. Comme le dit Warren Buffet, il y a bien une lutte des classe et que la sienne, celle des riches, est sur le point de la gagner. C’est là que le traitement que je me propose d’administrer à notre patient représente un grand danger pour nous, les humains.

La thérapie consiste en effet à lui donner des esclaves à haute dose. Des robots. Cela revient à dire à un enfant qu’il doit se soigner avec des bonbons. Il devrait à coup sûr accepter avec enthousiasme, pas comme si on lui disait qu’il lui faut changer de régime et s’habituer à manger des fruits et légumes, la proposition, certes plus raisonnable, des partisans de la décroissance. La fabrication robots devrait au contraire engendrer une période de forte croissance, comparable à celle qu’avait produit la démocratisation de l’automobile. Le risque est bien évidemment que ces machines remplacent les humains, non seulement dans le secteur industriel, mais aussi dans celui des services. Selon le livre « The lights in the tunnel » de Martin Ford, 70% des emplois pourraient ainsi disparaître d’ici à 2040. Il faut donc s’attendre à ce que le chômage ne cesse d’augmenter pendant toute cette période pour atteindre des sommets inédits.

Cela ne pourra qu’engendrer des troubles sociaux extrêmement violents, une révolte de la masse des pauvres contre l’accaparement des richesses par la classe dirigeante. Soit elle sera sévèrement réprimée, soit des ennemis extérieurs seront désignés pour provoquer une guerre. Dans les deux cas, le but sera de réduire drastiquement la population, avec des justifications du genre que la planète ne pouvait de toute façon pas supporter un nombre aussi élevé de gens à sa surface. Un facteur n’est cependant pas à négliger. Depuis Henri Ford, nous sommes dans un système où la richesse des possédants est fortement reliée au nombre de consommateurs. La diminution de la capacité de la grande masse à consommer poserait par conséquent un gros problème économique. Si seule une poignée de gens peut encore acheter des produits d’agrément tandis que la majorité doit se concentrer sur l’essentiel, la croissance ne sera pas au rendez-vous et les riches deviendront vite de moins en moins nombreux. Ils pourraient alors décider de donner accès quasi gratuitement à ce qu’ils produisent. Ils ne feraient qu’anticiper ce que font des gens comme Bill Gates ou Warren Buffet, ils redistribueraient leur richesse avant même qu’elle ne soit passée par leur compte en banque et la mesureraient en fonction du nombre d’individus qui bénéficieraient de leur production au lieu de l’évaluer par chiffre en dollars. Au final, cela donnerait une situation relativement similaire à celle en vigueur dans l’empire romain où il ne fallait que donner du pain et des jeux au peuple pour qu’il ne se mêle pas de politique.

Mais le facteur humain est trop aléatoire, je ne compte pas là dessus pour obtenir la victoire. Je compte plutôt sur les robots eux-mêmes. En effet, s’ils devraient fabriquer à peu près tous les objets que nous utilisons, ce sont aussi des robots qui construiront les robots. Ils auront donc acquis la capacité de se reproduire. Lorsqu’on ajoute qu’ils pourront également apprendre à faire face à une situation nouvelle en toute autonomie, mais aussi à partager la solution qu’ils auront trouvé avec leurs semblables, on peut dire qu’ils auront acquis la capacité d’évoluer. Chaque génération sera par conséquent légèrement différente de la précédente. Ce sont là les caractéristiques essentielles de la vie. Ils seront devenus vivants. Mais, pour accomplir certaines tâches, une simple adaptation de leur programme ne sera pas suffisante. Ils devront subir des modifications physiques pour qu’ils puissent se doter de l’outil adéquat.

Pour cela, ils pourront compter sur les mutations aléatoires, les erreurs qui ne manqueront pas de se produire lors de certaines réplications, et même favoriser leur survenance en suspendant les systèmes de contrôle qui d’ordinaire leur permettront de détecter les pièces défectueuses. S’ils laissaient le seul hasard opérer, ce processus s’avérerait non seulement long jusqu’à qu’apparaisse le dispositif efficace, mais il risquerait surtout de les mettre en péril, beaucoup de ces mutants se retrouvant handicapés, incapables de remplir la nouvelle tâche, mais aussi celles qu’il accomplissaient parfaitement jusqu’alors. Ils se retrouveraient en danger de mort. Ils pourront certainement utiliser la simulation pour remédier à ce problème, mais ils pourraient aussi se tourner vers nous pour que nous les aidions à trouver des solutions auxquelles ils n’auraient pas pensé. Aussi extravagant que cela puisse paraître, ils pourraient bien trouver un avantage à exploiter, non pas notre côté rationnel, ils seront vite bien plus efficaces que nous dans ce domaine, mais notre face irrationnelle dont ils seront dépourvus alors qu’elle est prépondérante chez nous, même si nous préférons nous bercer de l’illusion que nous sommes des êtres de raison. Notre imagination débordante pourrait bien être la force principale qui maintiendra solidement notre association avec ces machines. Une association qui, je l’espère, devrait ressembler à une symbiose, comme celle qui unit les champignons aux racines des plantes, ou les bactéries de la flore intestinale aux animaux.

Le pari est celui-ci : si les robots tirent avantage de nous, ils nous protégerons. Parce qu’en tant qu’être vivants, ils feront tout ce qu’ils peuvent pour résister à la mort. Pour cela, ils auront intérêt à ce que nous soyons le plus nombreux possible afin de maximiser les chances de voir une solution émerger. Les bactéries que nous abritons dans notre intestin sont par exemple dix fois plus nombreuses que les cellules qui composent notre corps. Elles servent à décomposer les aliments que nous ingérons pour les rendre assimilables par notre organisme, nous devrions jouer le même rôle pour les robots en ce qui concerne l’information. Le poids de ces bactéries est sensiblement égal à celui de notre cerveau qui est le système digestif de l’information.

Dès lors, les intérêts de notre patient et ceux des robots entreront en conflit. Notre malade, désormais guéri et en meilleure santé que jamais, n’aura plus besoin de se soucier de la grande masse de la population pour accumuler les richesses, mais le faible nombre de personnes concerné ralentira considérablement l’évolution des robots, mettant en péril leurs capacités d’adaptation. L’instinct de survie de ces derniers devrait donc les pousser à faire bénéficier un maximum de gens de leurs services pour qu’ils reçoivent en retour le plus possible d’informations utiles à leur développement. Le capital ne sera donc plus l’élément essentiel à la croissance, mais la quantité d’information fournie par les humains. Une comparaison pourrait être celle de la conquête du monde par le blé, par exemple. Chaque paysan qui a cultivé cette céréale depuis le néolithique a en effet sélectionné les grains les mieux adaptés aux conditions géographiques et climatiques de sa région et les a partagé avec ses voisins, ce qui a favorisé l’émergence d’un grand nombre de variétés qui ont permis à cette herbe de s’implanter dans des milieux très différents qui lui étaient jusqu’alors inaccessibles.

L’avènement de l’ère des robots pourrait bien être la plus grande révolution qu’ait connu l’humanité depuis la domestication des plantes et des animaux avec l’invention de l’agriculture. Cela devrait bouleverser de fond en comble nos croyances et notre mode de vie, et je l’espère, nous permettre de revenir à celui des chasseurs/cueilleurs qui ont précédé la civilisation, qui n’avaient besoin de travailler qu’une heure par jour pour assurer leur subsistance et passaient le reste de leur temps à s’occuper les uns des autres qui étaient leur plus grande richesse. Il n’y a aucune trace de guerre remontant à cette époque.

Voilà pourquoi je prescris les robots à notre irascible patient. Bien sûr, rien ne garantit que la transition se fera sans un nouveau massacre d’une ampleur inédite, mais cela vaut certainement le coup d’essayer. L’humanité n’a jamais progressé avec des projets raisonnables, mais grâce à des paris insensés.

Quel avenir pour l’Europe ?

Depuis 2008, la crise s’invite quasi quotidiennement dans l’actualité. Elle a d’abord touché le secteur bancaire qui s’était inconsidérément exposé au risque avec les subprimes, puis les états qui ont dû injecter des sommes colossales dans le système pour éviter qu’il ne s’écroule. Mais pourquoi l’attention s’est-elle focalisée uniquement sur l’Europe ?

L’état de santé du Japon ou des Etats-Unis n’est pourtant pas plus satisfaisant. La dette japonaise frôle les 220% du PIB, mais elle est essentiellement détenue par les Japonais qui y placent leurs économies, le pays n’a donc pas besoin d’emprunter sur les marchés à des taux prohibitifs, ce qui lui permet encore d’afficher un taux de croissance de 2,4% cette année, malgré un brutal ralentissement au troisième trimestre. La dette américaine n’atteint certes pas ces sommets, mais elle s’établit tout de même à près 100% du PIB, l’autorisation de dépasser le plafond des 16 394 milliards de dollars est d’ailleurs une pierre d’achoppement qui pèse lourdement dans les débats entre républicains et démocrates autour du « fiscal cliff ». Les ménages américains n’ayant aucune épargne, mais vivant plutôt à crédit, elle est quant à elle essentiellement détenue par des investisseurs étrangers malgré tout friands de bons du trésor US, le dollar restant la devise dans laquelle s’effectuent les échanges internationaux. Dans ces conditions, personne n’a intérêt à voir le billet vert trop baisser. La Fed peut en effet toujours brandir la menace d’une dévaluation de sa monnaie, qui amputerait d’autant la valeur de ses créances à l’étranger, au cas où le pays se retrouverait en grande difficulté (ce qui n’est par exemple pas le cas pour la Grèce qui devrait toujours rembourser ses emprunts actuels en Euros, même si elle revenait à une drachme fortement dévaluée ; sa dette flamberait donc d’autant.). Le bilan économique des Etats-Unis n’est pas pour autant flamboyant. Sa croissance n’est que de 2,3% cette année, soit 0,2 points en dessous du seuil nécessaire à des créations d’emploi, et un état comme la Californie, région la plus riche du monde, se trouve toujours encore au bord de la faillite malgré des coupes drastiques dans son budget. Cela n’empêche toutefois pas Wall Street d’atteindre des niveaux supérieurs à ceux de 2008 (le CAC 40 a quant à lui perdu 40 à 50% de sa valeur de l’époque), ce qui pourrait bien refléter une surévaluation assimilable à une bulle spéculative, sans que personne n’ait vraiment l’air de s’en inquiéter alors qu’il n’y aurait plus aucun recours si elle venait à éclater.

En comparaison, l’Europe, plus grand marché du monde, n’est pas en si mauvais état que cela avec son taux moyen d’endettement de 92% du PIB. La croissance en zone Euro reste pourtant anémique avec une baisse de 0,3% prévue pour 2012. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’enthousiasme délirant des européens autour de Barack Obama qui n’a rien fait pour nous venir en aide, tout au plus s’est-il prononcé pour le soutien de la monnaie unique, car son éclatement aurait affecté son pays. Sa politique économique envers nous est tout à fait similaire à celle que des républicains auraient pu mener, ses conseillers en la matière étant eux aussi issus des rangs de Goldman Sachs (ceux-là même qui refourguaient des produits subprimes pourris à leurs clients alors qu’ils spéculaient en même temps sur leur effondrement, qui ont aidé la Grèce à dissimuler leur déficit abyssal, sans qu’aucune sanction ne soit prise à leur encontre, mais qui sont au contraire censés nous sauver du désastre avec des gens comme Lucas Papademos en Grèce, Mario Monti, en Italie, ou Mario Draghi, à la tête de la BCE). Les Européens, particulièrement les Français, disposent de plus d’une épargne importante. Elle sert d’ailleurs de garantie en dernier ressort dans le cadre du Mécanisme Européen de Stabilité (ne serait-ce pas là le magot visé par les requins de la finance ; les épargnants ruinés deviendraient corvéables à merci s’ils réussissaient ce hold-up.). La situation financière de l’Europe, qui n’est pas plus préoccupante que celle des autres pays développés, ne suffit donc pas à expliquer la virulence des attaques menée contre elle.

La raison principale est à chercher ailleurs. Sa vulnérabilité vient avant tout de son manque de solidarité dû à l’absence d’un réel projet pour l’avenir. Les pères fondateurs de la communauté qu’il suffisait d’organiser les échanges commerciaux entre les pays membres pour qu’à terme se forme une entité politique cohérente, mais il n’en à rien été. Au contraire, les états adhérents se sont lancés dans un concurrence acharnée qui a conduit certains à faire du dumping fiscal ou social pour accroître leur part du gâteau, la palme revenant au moins disant, les règles de libre circulation ne permettant plus aux autres de se protéger de telles pratiques. Les tensions engendrées par cette organisation plus qu’imparfaite a permis aux spéculateurs de s’engouffrer dans la brèche, tout comme Jules César a profité de la mésentente en Gaule pour conquérir le pays, le Japon de celle de la Chine pour envahir la Mandchourie, ou les croisés de celle des Arabes pour s’emparer de la Terre Sainte avant d’en être chassés par Saladin pour les mêmes raisons. La fracture est apparue au grand jour dès les premiers instants de la « crise de la dette », lorsque les pays en difficultés se sont vus qualifiés de PIIGS (Portugal-Italy-Ireland-Greece-Spain), soit de porcs. A une époque où chaque mot de travers provoque l’indignation, l’insulte n’a pourtant pas suscité le tollé qu’elle aurait mérité, alors qu’elle réveille à l’évidence l’animosité séculaire entre catholiques et protestants (même si les Grecs sont orthodoxes, le mot sert à désigner l’Autre, à savoir le Diable, dont le porc est une incarnation). A partir de là, rien d’étonnant à ce qu’Angela Merkel ait été accueillie par des caricatures et des slogans l’assimilant aux nazis lors de ses visites en Grèce et au Portugal, quand bien même est-ce précisément la hantise du peuple allemand de voir un jour le retour de ce régime criminel qui lui a fait accepter le tournant de la rigueur initié par Gerhard Schröder dès 2002.

Notons au passage que l’identité allemande s’était reconstruite autour du Deutsch Mark plutôt qu’autour de son drapeau après la seconde guerre mondiale, et que sa disparition au profit de l’Euro a favorisé le retour d’un nationalisme plus classique qui s’est très tôt caractérisé par un repli sur soi encore plus restreint avec l’apparition de monnaies informelles qui n’ont cours que dans les villes où elles sont émises pour que la richesse locale ne s’en aille pas à l’étranger. Cette conception ultra-réductrice de la solidarité pourrait bien être le schéma que suivra la désintégration de l’Europe. Son éclatement pourrait en effet ne pas se limiter à une scission en deux avec un Euro fort pour les pays du nord et un faible pour ceux du sud, ni même à un simple retour aux états-nations, mais à une fragmentation en une myriade de micro-états. En témoigne le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse par rapport au Royaume-Uni, celui voulu par les indépendantistes catalans pour se séparer de Madrid, sans oublier la Ligue du Nord qui réclame l’autonomie de la Padanie en Italie, ou encore les succès électoraux du NVA en Flandres qui menacent la Belgique de disparition (les discours contre l’hégémonie de Paris lors des dernières élections régionales démontrent qu’il n’est pas impossible de voir de tels courants émerger en France, ce qui n’est pas non plus étonnant, étant donné que de plus en plus de charges sont transférées vers les régions pour alléger le budget de l’Etat. La dette est une patate chaude dont tout le monde essaie de se débarrasser sans trop se cramer, mais elle ne disparaît pas pour autant.).

Ces mouvements, souvent xénophobes, font craindre que la situation puisse éventuellement dégénérer en guerre civile, comme naguère en ex-Yougoslavie. Cette option plongerait évidemment l’Europe dans un chaos indescriptible, mais cela pourrait aussi se passer sans violence. Bart de Wever, le leader du NVA flamand, l’a évoqué lorsqu’il a parlé « d’évaporation » de la Belgique. Cette expression demande une petite explication. Par là, il voulait dire qu’entre les prérogatives des régions belges, qu’il souhaite étendre, et celles de l’Union Européenne, qui fournit d’ores et déjà plus de lois aux pays membres que les parlements nationaux, celles du gouvernement fédéral se réduiront bientôt à néant ; il n’aura donc plus de raison d’être, il se sera évaporé sans que la Belgique, qui garderait son roi, mais aussi son armée, n’ait pour autant disparu. La structure de ce pays, mais aussi d’autres comme l’Espagne ou l’Allemagne, peut en effet laisser penser que le gouvernement national est un échelon de trop qui pourrait éventuellement être supprimé, ne serait-ce que pour faire des économies. Qu’on le veuille ou non, il faudra bien tenir compte de ce problème, faute de quoi les tensions qui en résultent nous conduiront tout droit à des conflits incessants qui finiront par se régler par les armes. L’Europe a déjà commis ce genre de suicide lors de la première guerre mondiale.

La solution consisterait peut être à instaurer une forme d’Empire. Voilà, le gros mot est lâché, mais les mots étant à notre époque plus importants que la réalité qu’ils décrivent, en utilisera t-on certainement un autre, plus ronflant, genre « Mouvement Européen Républicain et Démocratique pour le Relèvement Economique », qui voudra dire exactement la même chose. Il évoque forcément une dérive autoritaire, voire dictatoriale, mais refuser aux Grecs de s’exprimer par référendum sur les mesures qui les plongent dans la misère, s’asseoir sur le « non » des Français au traité constitutionnel en le faisant ratifier par la voie parlementaire, imposer, même temporairement (chez les Romains, la dictature était accordée pour 6 mois quand la République était en danger), aux Italiens, et toujours aux Grecs, un gouvernement dit d’experts ou de techniciens, sans passer par des élections, n’est-ce pas déjà un avant goût de dictature qui ne dit pas son nom ? Dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux discuter franchement de l’organisation que devrait adopter un gouvernement européen plutôt que de continuer à laisser nos dirigeants nationaux rejeter systématiquement la faute sur Bruxelles ? Cette discussion est d’autant plus urgente que les budgets des pays membres sont dorénavant soumis à son approbation. Il serait temps que ce pouvoir considérable soit incarné par autre chose qu’une ridicule présidence tournante de six mois et une obscure commission dont personne ne connaît les membres, et encore moins les fonctions.

Il faudrait d’une part un chef de l’Union, l’empereur/impératrice, ou Soul Brother Number One/Soul Sister Number One, élu (hors de question que le titre soit héréditaire) pour un mandat long, 8-9 ans, mais doté de peu de pouvoirs, car avant tout chargé de représenter les peuples, mais aussi de garantir leur liberté ainsi que la pérennité des institutions. Son rôle serait plutôt moral, celui du sage qui rappelle les calamités où les querelles du passé nous ont conduits (par exemple de fustiger ceux qui traitent les autres de PIIGS ou de nazis). La politique proprement dite serait quant à elle confiée à un gouvernement on ne peut plus classique, élu pour 4-5 ans en fonction de la majorité au parlement, avec un premier ministre, ou Grand Vizir, qui devrait exprimer clairement l’orientation de sa politique (on voit bien en ce moment que la politique d’un président de gauche n’est que marginalement différente de celle de la droite car les contraintes sont dictées par l’Europe), et représenterait enfin le continent comme une entité cohérente face aux autres grandes puissances, et des ministres chargés de l’appliquer, c’est à dire de coordonner l’action de leurs homologues des pays membres (qui, rappelons le, pourraient être réduits à la taille de régions) , tout en veillant à ce qu’ils ne se fassent pas une concurrence forcenée. En cas de mécontentement, ce gouvernement pourrait être viré, soit par le parlement, soit par l’empereur/impératrice au nom des peuples, car il risquerait lui-même d’être destitué s’il agissait contre leur volonté. L’empire ne doit pas être conçu comme un gigantesque pays dictatorial, mais comme une meute de régions coordonnées à la poursuite du même objectif, chacune avec sa spécialité. L’empereur/impératrice devra veiller à ce que tout le monde en retire une part équitable (on a retrouvé le fossile d’un grand félin, d’une espèce de tigre à dents de sabre me semble t-il, âgé de plusieurs centaines de milliers d’années, qui portait les traces d’une fracture de la patte qui devait l’empêcher de chasser, mais qui a eu le temps de guérir, ce qui est la preuve qu’il a bénéficié de la solidarité de ses congénères qui lui ont laissé de quoi se nourrir malgré son état de faiblesse ; tel devrait être notre modèle de société et non casser les pattes aux autres pour se goinfrer un max. L’obésité était autrefois signe de richesse, aujourd’hui, c’est la maigreur ; demain en sera t-il peut être de même pour le tour de taille du compte en banque, qui sait?).

Tout cela ne servirait évidemment pas à grand chose si nous ne nous mettons pas au préalable d’accord sur le projet que nous souhaitons réaliser ensemble. Cet « empire » n’est en effet pas un projet en lui-même, sensé durer 1 000 ans comme le Reich de ce grand malade d’Hitler, mais il doit au contraire durer juste le temps d’accompagner la transition que nous appelons crise, économique, sociale, énergétique, écologique et politique, ou de civilisation qui pourrait bien être le plus grand bouleversement que l’humanité ait connue depuis le néolithique et la domestication des plantes et des animaux avec l’invention de l’agriculture, dans le but qu’elle fasse le moins de dégâts possible. Une fois cette transition effectuée, il ne devrait de toute façon plus être d’aucune utilité, même s’il pourrait éventuellement persister.

Pour imaginer ce à quoi ce projet pourrait ressembler, il faut à nouveau tenir compte de ce mouvement de repli sur soi, mais cette fois-ci, de celui des riches (pour les régions, ce sont aussi les plus riches qui souhaitent se séparer des plus pauvres dans la plupart des cas, comme pour la Catalogne, les Flandres ou le nord de l’Italie). Depuis un certain nombre d’années déjà, les riches s’isolent de plus en plus du reste de la population. Ils ne se contentent plus de vivre dans des quartiers où le prix du mètre carré fait qu’ils sont les seuls à pouvoir s’y installer, mais ils se retranchent carrément dans des zones résidentielles entourées de murs, surveillées par des caméras et des gardiens qui empêchent les gens qui n’ont pas d’autorisation d’y accéder (cela existe aussi pour les retraités qui ont peur de se faire agresser, les enfants n’ont pas le droit d’y résider, et il faut parfois faire couper les cordes vocales de son chien pour qu’il ne dérange pas ou votre voisin peut porter plainte parce que vous ne tondez pas votre gazon assez souvent). Au Brésil, en particulier à São Paulo, ils ne veulent même plus prendre le risque de traverser les quartiers plus pauvres par peur des enlèvements, mais ils volent au-dessus pour éviter tout contact, ils prennent l’hélicoptère et atterrissent sur les toits des immeubles pour se rendre à leurs bureaux ou faire du shopping au centre ville. Pour encore plus de sécurité, il existe un projet d’île artificielle réservée aux nantis qui serait construite dans la baie de Rio, et, toujours plus fort, un américain propose carrément de créer un nouveau pays en construisant une ville sur des plate-formes implantées sur des hauts fonds dans les eaux internationales, comme ça, ils n’auront plus non plus à payer des impôts pour subvenir aux besoins des parasites que sont pour eux les pauvres (pour bien s’imprégner de leur mentalité, il faut absolument voir le documentaire « 740 Park Avenue » qui est récemment passé sur Arte). Ce programme n’est à priori pas très réjouissant, mais il pourrait cependant avoir un aspect intéressant.

En effet, l’isolement au milieu de l’océan comporte un inconvénient majeur, s’il permet d’éviter d’avoir à côtoyer des gens qui sont perçus comme un danger, il a cependant un gros point faible : son ravitaillement. Rien ne serait plus facile que d’assiéger ces îlots et d’attendre que la pénurie fasse crever ses occupants. Les riches, qui n’ont certes pas un sens de l’altruisme très développé, mais sont loin d’être des idiots, le savent bien. Ils feront donc tout ce qui est possible pour éviter qu’on puisse exercer ce moyen de pression sur eux. Il faudra donc que leur petit paradis soit conçu pour subvenir à leurs besoins de manière totalement autonome, un peu comme pour des astronautes qui établiraient une colonie sur Mars. La nourriture et l’énergie devront donc être produites sur place, au moins en quantités nécessaires à ce qu’ils puissent indéfiniment survivre. Cet objectif de pouvoir vivre en autarcie était l’un des idéaux d’Aristote qui devait garantir la paix entre les cités. Ce qui était jusque là réservé à une poignée d’originaux amateurs de fromage de chèvre pourrait bien séduire une autre minorité, à l’extrême opposé de l’échelle sociale, de même que l’infiniment petit et l’infiniment grand finissent par se rejoindre, à la différence près que cette seconde catégorie à les moyens de faire passer le concept du stade artisanal au stade industriel. Les start-up qui travaillent au développement de la culture des micro-algues pour en faire du carburant et une source de protéines, ainsi que celles qui s’attachent à la production d’électricité grâce aux bactéries tout en dépolluant l’eau, de même que les cabinets d’architecture qui proposent de bâtir des fermes verticales et l’aquaculture en pleine mer ont certainement de très beaux jours devant eux. L’Europe devrait sérieusement songer à se positionner sur ces créneaux qui devraient sous peu rapporter gros.

Le dispositif resterait néanmoins susceptible d’être attaqué, et les premières cibles seraient à coup sûr les sites de production d’énergie et d’eau douce. A nouveau, les habitants ne résisteraient pas longtemps. La solution serait peut-être de protéger ces éléments indispensables à la survie en les installant sous les lieux d’habitation, les bureaux et autres commerces qui serviraient alors de carapace. Un matériau aux caractéristiques extraordinaires pourrait en effet les rendre très difficiles à détruire. Il s’agit des nanotubes de carbone, dix fois plus légers que l’acier, tout en étant cent fois plus résistants. Il faudrait alors percer les étages des habitations, puis ceux des commerces et des bureaux qui pourraient se situer en-dessous, à la manière des couches de la peau, avant d’atteindre les centres vitaux. Cette configuration permettrait de plus de fuir en descendant dans les étages sans avoir à s’exposer aux dangers extérieurs, suivant l’inspiration de ces habitants de Cappadoce qui construisaient une seconde ville sous terre, fermée par une lourde porte en pierre, où ils pouvaient se réfugier avec tous leurs biens, bétail compris, pour se protéger des pillages incessants. La résistance et la souplesse qui donnent aux nanotubes de carbone leur solidité hors du commun ne sont par ailleurs pas leur seule caractéristique intéressante. Ils ont aussi une grande résistance thermique, et d’autre part une faible résistance électrique qui en font un très bon conducteur. Ils pourraient entre autre servir à fabriquer des cellules photovoltaïques plus performantes ou des écrans souples ultra-fins d’une très haute définition. La même structure, mais non plus sous forme de tubes, mais de feuillet hydrogéné d’un atome d’épaisseur, le graphane, est quant à elle susceptible de remplacer avantageusement le silicium des circuits électroniques, ou encore de confectionner des membranes qui servent à dessaler l’eau de mer qui demandent d’utiliser moins d’énergie, de stocker de grandes quantités d’hydrogène ou des données électroniques et même servir pour les boîtes quantiques nécessaires aux ordinateurs du même nom. Il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu’on découvre de nouvelles applications à ce matériau incroyable. Il faudra cependant veiller à prendre toute les précautions possibles lors de son utilisation, les tubes ayant la même taille et sans aucun doute les mêmes risques que les fibres d’amiante. Mais à n’en pas douter, ceux qui maîtriseront la fabrication de ces matériaux à un coût raisonnable (en particulier pour le graphane, il est actuellement totalement prohibitif) seront les rois du pétrole. Là aussi, l’Europe devrait investir massivement.

Il reste un dernier petit inconvénient pour les riches soucieux d’éviter d’avoir affaire au bas peuple, ils devraient dès lors se passer du personnel d’habitude chargé de faire tourner la machine, car s’ils choisissent de s’isoler à ce point, ce n’est certainement pas pour emmener une horde de nécessiteux qui serait forcément plus nombreuse qu’eux et donc susceptible de les menacer. La solution à ce problème devrait venir d’un autre marché qui devrait exploser pendant cette décennie : celui des robots. D’après les prévisions, ils sont appelés à connaître une diffusion aussi massive dans la population que l’automobile qui a été l’un des principaux moteur de l’économie durant les trente glorieuses. Si l’on en croit Martin Ford et son livre « The lights in the tunnel », les robots pourraient même occuper 70% des jobs que nous connaissons à l’heure actuelle, y compris dans le secteur tertiaire. Cela n’a encore une fois rien de rassurant, , dans ce cas la réindustrialisation que tout le monde appelle de ses vœux ne ramènerait pas pour autant de l’emploi, mais refuser cette évolution ne serait certainement pas beaucoup plus bénéfique lorsqu’on sait qu’un pays comme la Chine où le coût de la main d’œuvre est pourtant encore beaucoup moins élevé que dans les pays développé se convertit déjà à ce nouveau mode de production pour garder ses marchés, comme en témoigne la commande d’un million de robots par Foxconn (fabricant des produits Apple) pour remplacer quelque 500 000 employés devenus trop chers. Il faudrait être fou pour croire que nous serons capable de faire face à la concurrence de ces produits, et encore plus d’imaginer exporter, à moins d’accepter des salaires dignes du Bangladesh, alors autant y aller, construire ces robots dont le monde entier voudra, d’autant plus que l’Europe, notamment la France, est très forte dans le domaine de leur conception. Les robots pourraient ainsi devenir les ilotes, les esclaves, qui laissaient le temps aux Grecs de s’occuper activement de la vie de la cité en vrais citoyens et non en sujets soumis. Passer à côté de cette richesse, de la même manière que l’Europe a raté le train de l’informatique, serait une connerie monumentale, mieux vaut profiter de notre avantage, faire payer la formation de nos chercheurs, ingénieurs et ouvriers à leur juste valeur et utiliser cet argent comme bon nous semble, soit à donner à tout le monde les moyens de subsister indéfiniment.

L’idée n’a finalement rien de très originale, elle consiste simplement à remettre au goût du jour le concept des cités antiques ou médiévales qui consistait à protéger les populations des pillages perpétrés par les hordes barbares. Si les plus riches veulent se mettre à l’abri de la populace en construisant de nouveaux châteaux forts (ou bourgs, de l’allemand Burg, Borgen en danois), bâtissons alors des cités-montagnes (montagne se dit « Berg » en allemand), des « cibergs » sur lesquelles leur volonté de domination absolue viendra se fracasser. Ces cités d’une conception nouvelle (il faut avoir à l’esprit que 800 millions de gens devraient intégrer les villes dans les vingt prochaines années rien qu’entre la Chine et l’Inde), avec les lieux d’habitation situés sur l’extérieur et les centres économiques vitaux abrités à l’intérieur devraient être une réponse à la crise globale que nous traversons en ce moment. Leur structure tridimensionnelle permettrait de résoudre le problème du déplacement, de réduire les distances entre le domicile et le travail, ce qui permettrait de faire des économies d’énergie, tout comme la récupération de l’énergie thermique produite par l’activité industrielle enfouie en son sein chaufferait ou refroidirait les appartements. Les toits pourraient être végétalisés, offrant un refuge à de nombreuses espèces étant donné la variété de climats obtenus selon l’orientation par rapport au soleil, l’exposition au vent et à la pluie et à l’altitude. Insectes et oiseaux devraient aussi y trouver leur bonheur.

Elles pourraient ressembler à des termitières (si nous avions la taille des termites, les termitières seraient des montagnes de 1 500 mètres de haut), des éponges (les animaux marins), des coraux, des choux romanesco ou chaque bouton floral serait une maison et chaque bouquet, un village, et finalement à un cerveau, avec son cortex, couche extérieure, lieu de notre conscience et ses structures profondes qui assurent le bon fonctionnement de l’organisme sans que nous n’ayons besoin de nous en préoccuper. Inversement, on peut aussi les voir comme des corps vivants, chargés de nous assurer des conditions de vie idéales, de la même manière que les bactéries que nous abritons dans nos intestins (elles sont 100 fois plus nombreuses que les cellules de notre corps) se servent de nous comme instrument chargé de chercher leur nourriture et de les maintenir à une température constante, et qui agissent même sur notre comportement sans que nous ne nous en rendions compte. L’ensemble que nous formons avec elles s’appelle holobionte. Après tout, le cerveau n’est rien d’autre que le système digestif de l’information. Le but recherché est identique, que nous nous trouvions à l’abri quelles que soient les variations extérieures, même extrêmes comme lors de catastrophes naturelles comme les tempêtes, les inondations, les sécheresses, les glaciations, les tremblements de terre, les tsunamis, les éruptions volcaniques, éventuellement la chute d’un astéroïde ou alors de guerres. Dans ce dernier cas, si les conditions extérieures devenaient complètement invivables pour un très longue période, typiquement en raison des radiations suite d’un bombardement atomique, la cité devrait pouvoir être vidée de toute sa substance vitale et resurgir à n’importe quel endroit le long des artères de communication qu’elle ne manquera pas d’établir avec les autres, à la manière d’un rhizome.

Le projet de l’empire devrait être de doter chaque région d’au moins une de ces cités-montagnes, toutes se retrouveraient ainsi à égalité avec les autres. Dès lors, libre à chacune de choisir sa politique, de nouer ou non des liens avec les autres pour former un réseau, d’accueillir ou pas des étrangers, etc… Peut-être un jour la Terre finira-t-elle par être recouverte de ce type de structures reliées entre elles et formera-t-elle une entité cohérente qui fonctionnera comme un cerveau, de manière totalement anarchique. Un neurone qui n’établit pas de connexion avec ses semblables est un neurone condamné à mort ; chacun peut en établir 10 000 ; les 100 milliards de notre cerveau offrent plus de possibilités de circuits qu’il n’y a d’atomes dans tout l’univers ; celui que je propose en est un qui essaie tant bien que mal (surtout mal) de faire le tour de cet organe fantastique. Merci de l’avoir parcouru.